Le réveil d’Akira fut brutal, comme une chute dans un puits sans fond. Il ouvrit les yeux, le souffle court, et fixa le plafond de sa chambre. Une fissure courait en zigzag au-dessus de lui, souvenir d’un immeuble bon marché qui s’effritait un peu plus chaque année. L’odeur d’humidité flottait dans l’air, tenace, et un bruit sourd traversait les murs – un voisin qui cognait quelque chose, ou peut-être juste la vie qui continuait sans lui.
Son écran s’alluma avant même qu’il ne bouge, projetant ses stats dans une lumière bleutée qui semblait le narguer.
[Nom : Akira Kaizen]
[Rang : F]
[Puissance : 1 | Agilité : 1 | Endurance : 1 | énergie Mythique : 0]
[Divinité liée : Aucune]
[Potentiel de progression : Inactif]
Il ferma les yeux, espérant un instant que ?a disparaisse. Mais non. L’écran était toujours là, fidèle comme une ombre qu’il ne pouvait pas fuir. Il se redressa, passa une main dans ses cheveux en bataille et attrapa un sweat usé sur le dossier d’une chaise. En bas, sa mère était déjà dans la cuisine, un tablier noué autour de la taille, remuant une casserole avec des gestes mécaniques.
Le petit-déjeuner était le même depuis des mois : du riz réchauffé d’hier et une soupe miso trop claire, presque sans go?t. Elle ne leva pas les yeux quand il s’assit, mais il vit ses épaules se raidir légèrement. Elle travaillait tard, ces jours-ci – un job dans un entrep?t le matin, un autre dans une supérette le soir. Depuis que son père avait été transféré à l’usine Titan, à deux heures de train, elle portait la maison seule.
? Tu vas au lycée ? ? demanda-t-elle, la voix basse.
? Ouais, ? répondit-il, la bouche pleine. ? Comme tous les jours. ?
Elle hocha la tête, et le silence retomba, lourd et familier. Akira avala son repas sans un mot de plus, attrapa son sac et sortit. Il n’aimait pas la voir comme ?a – fatiguée, usée, mais incapable de dire quoi que ce soit. Elle n’avait jamais parlé de son rang F, pas directement. Mais il se souvenait de ce jour, deux ans plus t?t, quand il était rentré du centre d’analyse avec cette étiquette d’anomalie potentielle. Elle avait juste posé une main sur son épaule, les lèvres pincées, avant de retourner à ses taches.
Dehors, Neopolis s’éveillait dans un chaos organisé. Les rues grouillaient de monde – des salarymen aux visages fermés, des livreurs sur des motos électriques qui zigzaguaient entre les passants, des gamins en uniforme qui couraient vers des écoles privées. Un écran géant suspendu à un immeuble diffusait une voix grave : ? Ce soir, Takao Mizuki affronte Fafnir dans un duel retransmis en direct. Ne manquez pas ?a ! ? Akira baissa les yeux et accéléra le pas.
Toma l’attendait au coin de la rue, adossé à un lampadaire, une canette de thé glacé à la main. Ses cheveux ébouriffés et son uniforme froissé lui donnaient l’air de quelqu’un qui venait de se lever – ou de ne pas s’être couché. ? T’as une tête de mec qui a vu un fant?me, ? lan?a-t-il avec un sourire en coin.
? J’ai dormi, ? grogna Akira. ? Juste pas assez. ?
? à cause du simu d’hier ? ? Toma haussa un sourcil. ? T’en fais pas trop, hein. On réessaiera ce week-end. ?
Akira haussa les épaules. Il n’avait pas envie de parler du simulateur, ni de ce ERR_XXXX_CHRONOS_001 qu’Airi avait cru voir sur son écran. ?a l’avait tenu éveillé une partie de la nuit, cette ligne brouillée qui clignotait dans sa tête comme un signal qu’il ne comprenait pas. Mais il n’était pas s?r de vouloir en parler – pas encore.
Ils marchèrent jusqu’au lycée en silence, croisant des groupes d’élèves qui discutaient bruyamment. ? J’ai pris 0,4 en endurance hier soir au centre ! ? lan?ait un gar?on à lunettes, tout fier. ? Moi, 0,2 en agilité, ? répondait une fille avec un sourire. Akira serra les poings dans ses poches, le regard fixé sur le sol.
Airi les rejoignit à l’entrée, son sac lourd de livres pendu à une épaule. Ses cheveux noirs étaient attachés en une queue de cheval lache, et elle portait une veste trop grande qui flottait autour de sa silhouette fine. ? Vous êtes en retard, ? dit-elle simplement, son ton calme mais ferme.
? C’est sa faute, ? répondit Toma en pointant Akira. ? Il tra?ne comme un vieux. ?
Elle esquissa un sourire discret, et Akira sentit une chaleur furtive lui monter aux joues. Il détourna les yeux, gêné, et suivit ses amis à l’intérieur.
Le portail d’entrée scanna leurs écrans comme chaque jour, les triant en un instant. Toma fut envoyé vers la classe E, Airi vers la D. Akira, lui, vit la flèche rouge clignoter vers le sous-sol – la classe F, celle des oubliés. Il descendit les escaliers sombres, croisant les regards fuyants des autres élèves de son rang. La salle était froide, les murs nus, l’hologramme du professeur déjà en train de s’animer au centre.
? Sujet du jour : les dynamiques de progression des statistiques, ? annon?a la voix mécanique. ? Chez 98 % des individus, un entra?nement régulier permet une augmentation graduelle des attributs physiques. Les exceptions, comme les anomalies de type F, restent inexpliquées à ce jour. ?
Akira serra les dents. Il n’écoutait pas vraiment – il connaissait la le?on par c?ur. Pendant que le professeur débitait ses chiffres, il sortit un carnet usé de son sac et griffonna distraitement. Des lignes, des cercles, rien de précis. Juste un moyen de faire passer le temps.
à la pause, il retrouva Toma et Airi dans la cour, près d’un arbre tordu qui offrait un peu d’ombre. Toma s’assit par terre, déballant une barre énergétique qu’il avait d? piquer dans un distributeur. ? Alors, quoi de neuf chez les génies du sous-sol ? ?
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? Rien, ? répondit Akira. ? Juste qu’on est des exceptions, apparemment. ?
Airi s’assit à c?té de lui, son sac posé à ses pieds. ? Ils savent pas pourquoi tu progresses pas ? ?
Il haussa les épaules. ? Ils savent rien. Juste que je suis bloqué. ?
Toma mordit dans sa barre et macha bruyamment. ? Peut-être que t’as un truc spécial qui dort en toi. Genre, un pouvoir caché. ?
Akira ricana, amer. ? Ouais, bien s?r. Le pouvoir de stagner. ?
Airi ne rit pas. Elle le regarda un instant, ses yeux sombres plissés comme si elle cherchait quelque chose. ? T’as déjà pensé que c’était pas toi, le problème ? Que c’était… autre chose ? ?
Il fron?a les sourcils. ? Quoi, le système ? ?
Elle ne répondit pas tout de suite, triturant un coin de son sac. ? Je sais pas. Juste… une idée. ?
Avant qu’il ne puisse creuser, un groupe d’élèves passa près d’eux – des rangs D, avec leurs uniformes impeccables et leurs écrans qui clignotaient fièrement. L’un d’eux, un grand type aux cheveux teints en blond, s’arrêta en voyant Akira. ? Hé, Kaizen ! Toujours à zéro, hein ? T’as essayé de respirer, au moins ? ?a compte comme un effort ! ?
Les autres éclatèrent de rire. Akira sentit une boule se former dans sa gorge, mais Toma se leva d’un bond. ? Et toi, t’as essayé de fermer ta gueule ? ?a te ferait gagner des points en dignité. ?
Le blond ricana mais s’éloigna, suivi par son groupe. Airi posa une main légère sur le bras de Toma. ? Laisse. Ils cherchent juste à se sentir supérieurs. ?
? Ouais, ? grogna Toma. ? En écrasant les autres. ?
Akira baissa les yeux, la honte lui br?lant les joues. Il détestait ?a – ces mots, ces regards, cette fa?on dont le monde le voyait comme un déchet. Et pourtant, il ne pouvait pas leur donner tort.
Le reste de la matinée passa dans un brouillard. Akira suivait les cours sans vraiment écouter, les mots du professeur holographique glissant sur lui comme une pluie fine. à midi, le lycée se transforma en un chaos organisé – des élèves se pressaient vers la cantine, leurs écrans clignotant au-dessus d’eux comme des badges de statut. Les rangs D et C dominaient les conversations, leurs voix pleines d’une assurance qu’Akira ne connaissait pas.
Il retrouva Toma et Airi près de l’arbre tordu, leur coin habituel. Toma avait déjà entamé une bo?te de nouilles instantanées, chopée à bas prix dans un distributeur. Airi, elle, feuilletait un livre – un roman usé avec une couverture déchirée. Elle lisait beaucoup, Akira le savait, mais elle ne parlait presque jamais de ce qu’elle aimait.
? T’as pas pris à manger ? ? demanda Toma, la bouche pleine.
Akira haussa les épaules. ? Pas faim. ?
? T’es s?r ? ? insista Toma. ? T’as l’air d’un mec qui va s’effondrer si tu manges pas un truc. ?
? Laisse-le, ? murmura Airi sans lever les yeux de son livre. ? Il mangera quand il voudra. ?
Akira esquissa un sourire malgré lui. C’était ?a, Airi – toujours à le comprendre sans poser trop de questions. Il s’assit à c?té d’eux, le dos contre l’arbre, et fixa le ciel grisatre de Neopolis. Des drones passaient au loin, leurs bourdonnements étouffés par le vent.
? Vous croyez qu’ils savent pourquoi certains bloquent ? ? demanda-t-il soudain.
Toma s’arrêta de manger, chopsticks en l’air. ? Qui, les profs ? ?
? Non. Les gens qui ont fait le système. Les divinités, peut-être. ?
Airi referma son livre lentement, son regard posé sur lui. ? Tu penses encore à hier ? ?
Il hésita. Il n’avait pas parlé du ERR_XXXX_CHRONOS_001 à Toma, et même avec Airi, il n’avait pas insisté. Mais ?a tournait dans sa tête, comme une écharde qu’il ne pouvait pas retirer. ? Peut-être. J’sais pas. C’est juste… bizarre. ?
Toma haussa les épaules. ? Moi, j’dis que t’as un truc spécial qui dort. Genre, un pouvoir caché qui attend le bon moment. ?
? Tu dis ?a depuis qu’on a quatorze ans, ? répondit Akira, un sourire amer aux lèvres. ? Et rien a changé. ?
? Pas encore, ? corrigea Toma avec un clin d’?il.
Airi ne dit rien, mais son silence parlait pour elle. Elle triturait un coin de son livre, les sourcils légèrement froncés. Akira la connaissait assez pour savoir qu’elle réfléchissait – pas à voix haute, mais dans ce coin de sa tête où elle gardait ses pensées.
L’après-midi fut aussi monotone que le matin. Quand la cloche virtuelle sonna la fin des cours, Toma proposa de tra?ner près du vieux pont à l’est de la ville. C’était leur refuge, une passerelle rouillée au-dessus d’une rivière à moitié asséchée, loin des écrans et du bruit. Akira suivit sans discuter – il n’avait rien de mieux à faire.
Airi s’assit sur le bord, les jambes dans le vide, son livre ouvert sur ses genoux. Toma lan?ait des cailloux dans l’eau, visant une bouteille en plastique qui flottait mollement. Akira resta debout, les mains dans les poches, le regard perdu sur l’horizon.
? Tu crois qu’on restera toujours comme ?a ? ? demanda-t-il, presque sans s’en rendre compte.
Toma s’arrêta, un caillou en suspens. ? Comme quoi ? ?
? Moi, bloqué à rien. Vous, à grappiller des miettes. Le monde qui nous laisse sur le c?té. ?
Airi leva les yeux de son livre, son regard doux mais per?ant. ? Peut-être que le monde va trop vite pour voir ce qui compte. ?
Toma ricana. ? Ouais, ou alors il est juste trop occupé à regarder des mecs comme Mizuki taper sur des monstres. ?
Akira ne répondit pas. Il voulait croire qu’Airi avait raison, mais une part de lui – celle qui voyait son écran chaque matin – hurlait le contraire. Il s’assit enfin, le métal froid de la passerelle traversant son pantalon. Pendant un moment, ils restèrent là, dans un silence confortable, bercés par le bruit lointain de la ville.
Mais Toma, fidèle à lui-même, brisa la tranquillité. ? Hé, on va au simu ce soir ? J’veux voir si je peux choper un point en force. ?
Akira soupira. ? T’es sérieux ? ?
? Toujours, ? répondit Toma avec un sourire. ? Et toi, t’as rien à perdre. ?
Airi hocha la tête. ? Il a raison. Viens avec nous. ?
Il céda, comme souvent. Le centre d’entra?nement était calme à cette heure, presque désert. Les néons bleus projetaient des reflets sur les murs, et l’odeur de métal chauffé flottait dans l’air. Toma entra dans une cabine en premier, ressortant un quart d’heure plus tard avec un sourire triomphant. ? +0,2 en agilité ! J’suis un dieu ! ?
Airi esquissa un sourire. ? Un dieu rang E, alors. ?
? Exactement ! ?
Akira entra à son tour, plus par habitude que par espoir. L’arène virtuelle se matérialisa – sol poussiéreux, murs fissurés, un gobelin qui grognait devant lui. Il esquiva, trébucha, frappa. La créature s’effondra en pixels, et il retira le casque, déjà résigné.
[Puissance : 1 | Agilité : 1 | Endurance : 1 | énergie Mythique : 0]
[Progression : +0]
Mais cette fois, il y eut un frisson dans l’air, une vibration qu’il sentit dans ses os. Son écran clignota, et cette ligne brouillée réapparut : ERR_XXXX_CHRONOS_001. Elle disparut presque instantanément, mais pas avant qu’il ne la voie clairement. Son c?ur s’accéléra.
Toma riait avec Airi à c?té, inconscient du changement. Mais Airi tourna la tête vers lui, ses yeux plissés. ? ?a va ? ?
Il hésita, puis hocha la tête. ? Ouais. Juste fatigué. ?
Elle ne sembla pas convaincue, mais elle n’insista pas. En rentrant chez lui ce soir-là, Akira marcha seul dans les rues sombres de Neopolis, son écran flottant au-dessus de lui comme une accusation silencieuse. Il s’arrêta sous un lampadaire vacillant, fixant les chiffres immobiles. Puis il murmura, presque pour lui-même : ? C’est quoi, Chronos ? ?
Aucune réponse ne vint, juste le bruit du vent et le bourdonnement lointain d’un drone.