"Sérian."

  "Oui?"

  ? Ils ont bien dit qu'ils avaient découvert des puits, n'est-ce pas ? ? demanda Andrée pensivement.

  ? En effet ?, répondit Serian en hochant la tête.

  "Penses-tu..."

  ? Que ces puits existent ici ? ? demanda Serian avec empressement, comme s'il venait d'avoir une révélation.

  ? Oui, si c'est bien Lormes et que tu ne t'es pas trompé. Si c'est vrai, cela nous donnerait un indice sur l'origine de ces rêves si nous sommes dans le même monde. ?

  Serian ne répondit pas immédiatement. Il reprit son chemin d'un pas léger parmi les ruines.

  Lormes était très différente. Si je ne me trompe pas et qu'il s'agit bien de la même ville, elle doit appartenir au passé.

  ? C'est logique ?, répondit Andrée. ? Mais l'hypothèse la plus logique serait que ces rêves soient des souvenirs. Pourtant, même s'ils ont toujours été flous, j'ai l'impression qu'ils ont toujours eu notre age, comme s'ils avaient grandi avec nous ?, poursuivit-elle.

  ? En effet. Pensez-vous que nous réveillons simplement des souvenirs une fois que nous atteignons l'age qu'ils ont vécu ? Je ne sais pas pourquoi, mais mon intuition me dit que ce n'est pas ?a. ?

  Andrée ne répondit pas. Un silence confortable s'installa entre eux tandis qu'ils continuaient à avancer rapidement à travers les ruines, telles des ombres légères portées par le vent.

  Ils avaient l'habitude de traverser les ruines plut?t que les routes dégagées ; bien que plus dangereux et périlleux, ce chemin était plus rapide. Et pour quelqu'un qui a grandi à Lormes, disons simplement que leur conception du danger était… différente.

  ? Ouais, je ne le ressens pas vraiment non plus, mais pour l'instant, c'est sans doute la théorie la plus logique. Voyez-vous, s'il s'agissait de souvenirs, on devrait voir les moments les plus importants et mémorables de leur vie, pas des moments aléatoires ?, dit finalement Andrée alors qu'ils s'approchaient de la porte menant au sous-sol, d'où ils pouvaient accéder au système.

  ? Andrée. Je fais de plus en plus de rêves éveillés. ?

  ? Tu me l'as déjà dit. Moi aussi, j'en ai de plus en plus. ?

  ? Et vous avez d? remarquer que le temps dans les rêves, bien que pas exactement le même, semble être coordonné avec la réalité. N'est-ce pas ? ?

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  ? Que veux-tu dire ? ? demanda Andrée, intriguée par les questions de son frère.

  ? Voyez-vous, si je fais un rêve éveillé à midi, je vois l'autre gars et sa s?ur à minuit. Si, une semaine plus tard, je rêve à 19 heures, je les vois à 7 heures du matin ?, expliqua-t-il avec un enthousiasme débordant, comme s'il attendait sa question.

  ? Donc le temps là-bas et le temps ici sont différents mais s'écoulent de la même fa?on ? ? demande Andrée.

  ? Oui. Mais cela signifie aussi que, très probablement, nous ne voyons dans nos rêves que ce qui leur arrivait exactement au même moment de leur vie que nous. Si je rêve la vingtième année, le troisième mois, le treizième jour, la cinquième heure de ma vie, je vois ce qui s'est passé la vingtième année, le troisième mois, le treizième jour, et ainsi de suite ! ? expliqua Serian.

  Il prit une grande inspiration pour reprendre son souffle et jeta un coup d'?il à Andrée, cherchant son avis.

  Ils avaient déjà descendu les marches raides de l'escalier sombre. Serian était assis en tailleur par terre, dans le grand espace central d'environ quatre mètres carrés. C'était le seul endroit du sol qui n'était pas recouvert d'étranges circuits en forme de toile d'araignée.

  Ils venaient souvent s'asseoir ici, un endroit où personne ne les chercherait, car les autres habitants avaient trop peur d'endommager la barrière pour s'aventurer à l'intérieur.

  C'est ici qu'ils passaient la plupart de leur temps à parler de tout et de rien, à forger des théories - parfois logiques, parfois des théories qu'ils considéraient eux-mêmes comme folles - basées sur leurs connaissances fragmentées tirées des rêves qu'eux seuls avaient.

  ? Ou peut-être, dit Andrée d'un ton enjoué, que tu as tout simplement fait une erreur, et que la ville que tu as vue n'était même pas Lormes ?, continua-t-elle avec un sourire malicieux.

  ? C'était Lormes, j'en suis s?r. J'ai reconnu la barrière, la même allure éthérée, le tracé des rues était le même, j'ai même reconnu la place centrale, la fontaine, et même notre maison. Quant à la grande place à l'ouest, il y avait un jardin ?, répondit Serian, l'air agacé.

  ? Idiot, si ce n'est pas Lormes, alors peut-être que ce qu'on voit dans nos rêves se passe en ce moment même, quelque part, et on y arriverait peut-être. Notre vie serait tellement meilleure ?, murmura Andrée.

  Serian laissa échapper un lourd soupir et leva les yeux vers sa s?ur.

  ? Andrée, ce n'est pas parce qu'on y croit que c'est vrai. Tu le sais aussi bien que moi. ?

  ? Je sais, je sais ?, répondit-elle. ? Mais sache aussi qu'il vaut mieux nourrir de faux espoirs, même si cela implique de tomber, que d'abandonner. Tu as vu comment vivent nos parents ; je les déteste pour leur comportement. ?

  ? Si c'est Lormes, ces puits pourraient bien exister. Tu m'as dit qu'ils avaient construit les Prêcheurs, mais les puits étaient déjà là. Si c'est vraiment Lormes, on pourrait même trouver les Purificateurs ?, poursuivit-elle.

  ? Ils ont surtout dit avoir choisi Lormes parce que c'était un endroit désolé. C'est le mot qu'ils ont utilisé, même s'ils voulaient probablement dire isolé. ?a me fait penser que ?a pourrait être dangereux ?, répondit Serian en tapant ses genoux l'un contre l'autre.

  Il avait toujours ces tics nerveux : il ne pouvait jamais rester complètement immobile.

  ? Et si c'était précisément ce qui avait conduit Lormes de l'état que vous avez décrit à celui où il se trouve maintenant ! ? s'exclama Andrée avec l'enthousiasme de quelqu'un qui vient de résoudre un immense mystère.

  ? Je ne sais pas ?, dit Serian, ? mais si c'est le cas, cela confirmerait que nous sommes bien dans le même monde que les deux autres. Nous aurions alors enfin une chance de quitter cet endroit. ?