Je fus réveillée par le froid.
La plage, après une nuit entière de rayonnement thermique, était devenue froide et dure. Les cailloux incrustés sous le sac de couchage, malgré la mince épaisseur du tapis de sol, me rentraient douloureusement dans le corps.
L'horizon n'était pas encore teinté de blanc, seulement d'une très légère couche de gris argenté qui écrasait la ligne de la c?te.
Au loin, le bruit intermittent des vagues.
Je m'assis, me frottai les épaules et, par habitude, balayai le camp du regard.
Anubis avait disparu.
J'imagine qu'il parlait encore hier soir quand je me suis endormie. Il faudra que je m'excuse auprès de lui tout à l'heure.
Je sortis le communicateur de mon sac de couchage et appelai le canal de Cyclope. L'écran clignota deux fois, puis la communication fut établie.
? Bonjour, Simon. De mon c?té… ? Je baissai les yeux sur le cadran de ma montre – 04:23 AM. ? … le travail va bient?t commencer. Je te préviens juste que je vais sur le site des vestiges d'hier soir pour installer les plaques de détection à muons. Je prévois un balayage de dix jours. Si je me souviens bien, il nous en reste deux cents en stock, je vais en réquisitionner cent. ?
Pas de réponse de l'autre c?té. Quelques secondes plus tard, le canal se coupa automatiquement.
J'imagine que ce vieil ours n'était pas encore bien réveillé. Tant mieux, je l'ennuierai plus tard.
Je secouai mon sac de couchage, le pliai, attachai les sangles, mis mon sac à dos à moitié ouvert sur mes épaules et retournai au conteneur que je partageais avec Baba Yaga.
Elle était déjà réveillée, habillée, assise près de la porte en train de lacer ses bottes, les cheveux impeccablement coiffés.
? Bonjour. ? Elle leva la tête et m'adressa un signe.
à 04:30 AM précises, je re?us sur mon téléphone l'emploi du temps envoyé par notre grand intendant, Marto. La lumière bleue s'alluma dans ma paume, la liste des taches commen?a à défiler ligne par ligne.
Emploi du Temps Quotidien
Date : An 487 de l'ère de la Roue Cendrée, Saison des Vents Alternés, Mois des Moissons, Jour de l'Artichaut – République de Libélin
Météo : Ensoleillé puis nuageux
Température : 14~27 degrés Celsius
La saison des fouilles, c'est comme ?a. En général, on fouille 5 jours par semaine (la loi de Libélin n'autorise que cinq jours de travail par semaine, avec deux jours de repos obligatoires), et chaque saison dure de 4 à 7 semaines. D'habitude, cela se passe pendant le Mois des Moissons et le Mois des Chaleurs, jusqu'à la fin de la décade des Vents Alternés, car il y a moins de jours de pluie et la température est plus adaptée à l'exhumation des artéfacts.
Pour des projets comme le n?tre, liés à des civilisations classiques et hautement développées, le travail archéologique complet sur un seul site peut durer de quelques années à plus de dix ans. Autant dire que pour le ? Territoire Bienheureux ?, nous n'en sommes qu'au tout début.
Notre vie, c'est ?a : en dehors de manger et de dormir, le reste, c'est le travail.
En voyant l'emploi du temps, Baba Yaga me dit d'un ton ironique : ? Ce n'est vraiment pas ennuyeux du tout… ?
Je souris amèrement et, avec mon calme sentiment de mort imminente, j'entrai dans la salle de bain pour me laver.
à cinq heures précises, presque tout le monde était là. Premier jour officiel de travail, mais l'ambiance était plut?t dilettante. à vrai dire, c'était prévisible. Que des Libélinois se présentent sur une plage avant que le jour ne soit complètement levé et à peu près à l'heure, c'était déjà une preuve de notre diligence exceptionnelle.
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Je fis signe à Marto et à Minos de trouver quelques gaillards aux bras solides et aux jambes rapides pour tra?ner la grosse caisse contenant les plaques de détection.
Pendant ce temps, je me tournai vers Krishna pour discuter des détails du cablage à venir : les interfaces de connexion, la compatibilité des modules de données, le paramétrage du programme de balayage des plaques à muons… Nous avions déjà revu tout ?a la veille, mais Krishna avait toujours l'air aussi tendu qu'un étudiant en plein examen.
à ce moment, une voix claire retentit derrière moi : ? Oh ! C'est donc vous, ‘Sphinx’ ? ?
Je me retournai instinctivement. Une silhouette se tenait non loin derrière moi, à contre-jour.
L'homme portait une chemise à la coupe extrêmement soignée, les manches retroussées avec netteté jusqu'aux avant-bras. Une caméra légère était suspendue à son coude. Sa peau était si blanche qu'elle en était presque réfléchissante, ses traits fins, ses lèvres légèrement ourlées d'un sourire qui semblait saupoudré de sucre, d'une familiarité désarmante.
? Mimir, enchanté de vous conna?tre. ? Il ajouta, d'un ton qui suggérait qu'il se présentait comme l'invité spécial d'un spectacle : ? Je suis le nouveau photographe et videast , chargé d'immortaliser tous vos moments forts. Et aussi – si je ne me suis pas montré hier soir, c'est à cause des séquelles du mal de mer, pas parce que je me donnais des grands airs. ?
Il me tendit la main. Ses doigts étaient longs et fins, ses ongles recouverts d'un vernis mat presque invisible.
J'hésitai un instant, puis lui serrai la main.
Il baissa les yeux sur mes bottes : ? Ouah, vos bottes sont superbes ! Où les avez-vous achetées ? J'ai toujours pensé que les articles de sport et de randonnée étaient moches. ?
Je restai figée. Cela faisait longtemps que je n'avais pas eu ce genre de conversation. ? Je… les ai depuis longtemps. J'ai oublié où je les ai eues. ?
? Ah là là, vraiment bien. Décidément, les modèles pour femmes sont beaux et pratiques. ?
Cobra n'était absolument pas réveillé. Quand j'étais sortie tout à l'heure, je l'avais tiré de la plage, et moins de cinq secondes plus tard, il s'était affalé sur place comme une tortue déterrée qui se rétracte dans sa carapace, ses ronflements reprenant aussit?t.
Au moment où j'allais lui donner un autre coup de pied, un bruit sourd de moteur se fit entendre du c?té de la c?te.
Notre navette de transport accostait.
Mais dès que le bastingage s'abaissa, je compris que quelque chose n'allait pas. Quand Cyclope descendit, il était flanqué de deux soldats armés. Leurs fusils ne visaient personne, mais…
Je m'avan?ai instinctivement et échangeai un regard avec Cyclope.
? Qu'est-ce que… tu faites ?? ? Mon regard était presque une accusation.
Mimir sembla arriver juste à ce moment-là. Sa caméra pivota légèrement, l'objectif s'apprêtant à zoomer, mais il fut arrêté par un des militaires qui lan?a d'un ton impatient : ?No Filming!! ?
Le sourire de Mimir se figea un instant. D'un geste du doigt, il éteignit sa caméra et me murmura : ? Mon Dieu, qu'il est méchant… ?
Baba Yaga se tenait derrière moi, une main nonchalamment glissée dans sa poche, ses yeux fixés sur les deux militaires. Son regard n'avait rien d'amical, comme si elle évaluait leur portée de tir.
Cyclope se tourna vers la foule et annon?a d'une voix forte, dans son félagnien si mauvais qu'il en était comique : ? It seems the officers from Marshall are not particularly confident about our safety, so they've sent some men to... reinforce us.
(Il semblerait que les officiers de Marshall ne soient pas particulièrement rassurés quant à notre sécurité, alors ils ont envoyé quelques hommes pour… nous renforcer.) ?
Après avoir dit cela, il me fit un clin d'?il, un regard espiègle signifiant ? ne t'inquiète pas, je gère ?.
Je dus me forcer à afficher un sourire professionnel et répondre en félagnien : ? Welcome, welcome to our documentary film crew. (Bienvenue, bienvenue dans notre équipe de tournage de documentaire.) ?
Puis, je pris l'initiative d'applaudir, espérant détendre un peu l'atmosphère. Seul Mimir applaudit avec moi. Cependant, les deux militaires restèrent impassibles, le regard fixe.
Je dus donc retirer ma main, dépité.
L'un des militaires prit la parole : ? Stop pretending, our superiors know what you're doing. Besides, your people have already confessed everything.
(Ne faites pas semblant, nos supérieurs savent ce que vous faites. D'ailleurs, vos hommes ont tout avoué. )?
Mon sourire se figea. Je fusillai Cyclope du regard.
Cyclope n'osa absolument pas croiser mon regard et regarda au loin d'un air détaché.
Ensuite, notre groupe se dirigea vers les vestiges qui s'étaient effondrés la veille, dans une ambiance terriblement gênante.
En chemin, les gens commencèrent enfin à chuchoter.
Minos baissa la voix : ? Ils ne seraient pas là pour nous surveiller, par hasard ? ?
Krishna fron?a les sourcils : ? Depuis quand le travail archéologique nécessite-t-il une escorte armée ? ?
Baba Yaga ne dit rien, continuant de marcher sans se retourner, la main toujours dans sa poche, tandis que les deux militaires nous suivaient à un pas, ni trop près, ni trop loin.
J'accélérai le pas pour rejoindre Cyclope, lui mis ma tablette sous les yeux en feignant une discussion académique, et lui demandai à voix basse en libélin : ? Comment ces types sont arrivés là ? ?
? Hier soir, un groupe est monté à bord de notre navire ?, dit-il d'un ton résigné.
? Laisse-moi deviner. Tu étais ivre mort hier soir, tu n'as absolument rien remarqué ? ?
? Exactement… Ce matin, ils étaient tous les deux debout au pied de mon lit, leurs fusils pointés sur moi. ? En disant cela, sa voix trahissait un mélange de dépit et de surprise.
? Oh… alors c'est que tu n'as pas donné assez d'argent ? ?
Il se gratta sa tête déjà à moitié chauve : ? Si, j'ai donné ce qu'il fallait. Mais j'imagine qu'ils veulent une part du gateau. ?
? … Tu crois qu'ils sont faciles à berner ? ?
Il pin?a les lèvres : ? Je pense que ?a devrait aller. ?
Je m'arrêtai et le regardai, serrant les dents au point de les casser : ? ‘?a devrait aller’ ??? Tu as négocié un prix ou pas, finalement ? ?
? C'est-à-dire que leur donner quelques trucs qui ont l'air de valeur devrait suffire. Et puis, tu t'attends à ce que ce genre de soudards respectent un contrat ? ?
Je pris une profonde inspiration et me massai les tempes : ? Je te jure que c'est la dernière fois que je fais ce genre de boulot avec toi où l'on risque sa tête. ?
Il sourit et me tapota l'épaule : ? Rassure-toi, ce ne sera pas la dernière fois. ?
Je levai les yeux au ciel, décidant pour l'instant de ne plus relever.
Il regarda autour de lui et demanda soudain : ? Où est Anubis ? ?
Mon c?ur se serra. C'est vrai, ce type avait encore disparu.
? Laissons-le faire ?, soupira Cyclope.
Peu après, notre groupe arriva au bord du trou de la veille, et plusieurs dizaines de personnes commencèrent rapidement à déployer les plaques de détection.
J'ouvris mon ordinateur, prête à lancer un premier balayage du sol avec le lidar.
à ce moment, un des militaires prit soudain la parole : ? What are you doing now? (Qu'est-ce que vous faites là, maintenant ? )?
Cyclope répondit aussit?t : ? This is a surface survey. We need data to determine where it's suitable to excavate. (C'est une prospection de surface. Nous avons besoin de données pour déterminer où il est préférable de creuser. )?
Le militaire ne répondit pas. L'air devint lourd un instant.
L'autre militaire intervint alors brusquement : ? No need to survey, I can see there are treasures over there. Why aren't you getting on with it? Dig quickly! (Pas la peine de mesurer, je vois bien qu'il y a des trésors par là. Pourquoi vous ne vous y mettez pas ? Creusez vite ! )?
à peine ces mots prononcés, les deux hommes pointèrent simultanément leurs fusils sur Cyclope et moi.
Baba Yaga dégaina son arme avec une rapidité foudroyante ; Cobra, sorti de nulle part à ce moment-là, tenait déjà en main la plus grosse truelle de fouille du camp.
? Everyone calm down! (Calmez-vous tous ! )? Cyclope leva les mains, essayant de ma?triser la situation. ? It's alright, here's the situation…(Ce n'est rien, voilà ce qu'il en est… )?
C'est à ce moment qu'Anubis arriva nonchalamment.
Il vit les deux militaires, mais ne parut nullement troublé. Au contraire, il s'approcha d'eux de quelques pas et prit la parole dans un félagnien si fluide qu'il en était presque élégant :
?Good morning, gentlemen! I am the director of the high seas auction house. If you want to get more money, I might be able to help. Artifacts with an archaeological background – that is, those with a 'story' to tell – can fetch at least double the price at auction. Otherwise, they're just scrap metal... or, let's say, just art pieces.
( Messieurs, bonjour ! Je suis le responsable de la maison de vente aux enchères en haute mer. Si vous souhaitez obtenir plus d'argent, je pourrais peut-être vous aider. Les artéfacts avec un contexte archéologique – c'est-à-dire ceux qui ont ‘une histoire’ à raconter – se vendent au moins le double sur le marché des enchères. Autrement, ce ne sont que de la ferraille sans valeur… ou disons, juste des objets d'art. )?
Les militaires froncèrent les sourcils. Il poursuivit : ? So don't rush. Let these people do it their way. You can contact your superior right now, tell him our offer will be transparent, and you'll get fifty percent of the sale price.(Alors ne vous pressez pas. Laissez ces gens travailler à leur manière. Vous pouvez contacter votre supérieur dès maintenant et lui dire que notre offre sera transparente, vous toucherez cinquante pour cent du prix de vente. )?
Les deux militaires échangèrent un regard et abaissèrent lentement leurs armes. Le talkie-walkie sur la poitrine de l'un d'eux crachota : ? Let them do it their way.(Laissez-les faire à leur manière.) ?
Il semblerait qu'ils aient des caméras sur eux et que quelqu'un nous surveille à distance.
Le silence se fit un instant, puis tout le monde, par un accord tacite, se remit au travail la tête baissée, comme si la scène précédente n'avait jamais eu lieu.
Mimir trouva enfin une occasion d'allumer discrètement sa caméra et se mit à tourner autour du trou.
Anubis disait la vérité.
Si un artéfact est pillé, sorti de son contexte archéologique et mis sur le marché, sa valeur scientifique s'évapore instantanément à quatre-vingt-dix pour cent.
Mais ce ne sont pas des questions qui préoccupent les pilleurs – nous, en réalité, c'est avec ces histoires que nous travaillons. Le geste de creuser n'est peut-être pas si différent de celui d'un enfant qui joue dans le sable sur la plage, mais notre but est de reconstruire la mémoire et l'histoire.
Mais dans cette situation… ne sommes-nous pas des pilleurs de tombes… ?