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Chapitre 〇 _ Ēlýsion pedíon_01

  Cette planète se nomme Yasha.

  Du moins, là où j'ai grandi – à Libélin – il y a douze mois et quatre saisons : le Début Ardent, les Vents Alternés, le Givre Dormant et les Eaux Profondes.

  Nous sommes actuellement en l'an 487 de l'ère de la Roue Cendrée, durant la période des Vents Alternés.

  5H du matin.

  Le bureau du dispatcheur du quai Marshall était étouffant comme une bo?te de fer blanc, sans fenêtre.

  Mon chef, Cyclope, posa avec assurance une mallette sur la table, l'ouvrit et la poussa vers un officier militaire bedonnant au visage brutal, à l'autre bout du meuble.

  ? Nous ne souhaitons pas attirer l'attention, et surtout, nous voulons éviter tout ennui avec l'armée, ? déclara Cyclope en félagnien, avec un fort accent de Libélin.

  ? Aucun risque. Personne n'ose toucher à mon navire. ? L'officier attira la mallette d'une main, en sortit une liasse, sélectionna quelques billets qu'il examina à contre-jour pour en vérifier le filigrane, puis afficha un sourire satisfait qui dévoila de grandes dents en or.

  ? Quant à votre équipement... je n'y comprends rien, alors je ferai comme si je ne le voyais pas. ? ? Et si jamais quelque chose arrivait, vos hommes pourraient intervenir, n'est-ce pas ? ? insista Cyclope.

  ? Bien s?r, tout est déjà enregistré. ? L'officier sortit brusquement une pile de documents d'un tiroir, les tamponnant d'un geste rapide et violent. Il pianota ensuite frénétiquement sur son ordinateur. ? Personne ne vous dérangera pendant vos activités dans cette zone maritime. Vous pourrez me faire signe en cas de besoin. ?

  Sur ce, il saisit son téléphone et commen?a à donner rapidement des instructions dans une langue que je ne comprenais pas.

  Cyclope, lui, examinait attentivement la pile de documents frappés du sceau rouge.

  Marshall avait été une colonie de Félanie. Bien que son indépendance remontat à plusieurs décennies, ceux qui contr?laient réellement ce port n'étaient ni le soi-disant gouvernement de la république, ni les patrouilles et garde-c?tes mentionnés dans les conventions internationales. Ici, la loi appartenait à celui qui avait le plus d'argent, le navire le plus solide, le pistolet le plus rapide.

  Le contr?le du port revenait en théorie au gouvernement local, mais en réalité, il était depuis longtemps aux mains de quelques seigneurs de guerre et d'armateurs qui se le partageaient à tour de r?le.

  Pour une ? équipe de tournage de documentaire ? comme la n?tre, pourvu que l'on graissat les bonnes pattes, non seulement on pouvait appareiller sans encombre, mais on pouvait même, en cas de besoin, solliciter une ? escorte de sécurité ? – moyennant un supplément, bien entendu.

  Le pays tout entier maintenait une fa?ade de civilisation : les douaniers portaient des uniformes, les policiers des insignes, les documents étaient tamponnés, et chaque procédure avait son guichet. Mais derrière ces guichets se cachaient des strates de structures que les gens normaux ne souhaiteraient jamais voir de leurs propres yeux.

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  Appuyée contre le chambranle de la porte, je baillais d'ennui.

  Dehors, le jour commen?ait à peine à poindre.

  Une brise marine chargée d'une odeur acre et salée soufflait depuis la zone de chargement. Je me retournai et vis ce grand nigaud de Cobra, à moitié assis sur un bidon d'huile, tripotant le pendentif de son collier. L'autre pied dessinait des cercles sur le sol, son pantalon trop court laissant appara?tre une chaussette à motifs d'avocat.

  Il n'avait que dix-neuf ans. Quelques années à peine s'étaient écoulées depuis qu'un navire de réfugiés l'avait transporté de Tebikta? jusqu'à Libélin. Voir des bateaux et la mer, maintenant, ne devait pas être une partie de plaisir pour lui.

  ? Cobra, pourquoi restes-tu caché là-bas ? Tu ne viens pas ? ? Je m'approchai.

  J'allais lui demander ? ?a va ? ?, quand il releva soudain la tête et m'adressa un large sourire : ? Sphinx ! Tout à l'heure, sur le bateau, je vais regarder One Piece. Tu veux regarder avec moi ? ?

  ? Non. ?

  ? Et jouer à des jeux vidéo ? ?

  ? Le réseau est pourri en mer, à quoi veux-tu jouer ? Tu dois me laisser la bande passante pour que je puisse consulter des documents et faire mes analyses. ?

  ? Oh, alors je jouerai à des jeux solo. ?

  ... Bon, d'accord, je m'étais inquiétée pour rien. Ce type était probablement un véritable c?ur simple.

  ? Tu sais comment s'appelait l'?le où nous allons, dans l'Antiquité ? ? demandai-je.

  ? Si tu me dis les ?les Salomon, je vais bien rire. ?

  Je sortis la tablette de mon sac, ouvris la version numérisée d'une carte marine du XIVe siècle et pointai une zone floue : ? Les Champs élysées. ? I

  l parut surpris un instant : ? Le marché de luxe de Libélin ? ?

  Je souris : ? Tu crois qu'il faut prendre un bateau pour y aller ? ?

  Je tapotai l'écran et fis appara?tre une note : ? Dans la mythologie antique, c'est la terre bienheureuse des Enfers, ce qui se dit Les Champs élysées en libélin – seuls les héros et les élus des dieux ont le droit d'y entrer. ?

  ? Alors pourquoi est-ce devenu un marché maintenant ? ? Il fron?a les sourcils.

  ? Ce n'est qu'un nom, j'imagine. Le sens originel était bien 'le lieu des ames errantes'. Ou, si tu préfères, le havre des immortels. ?

  Il resta silencieux un moment : ? Alors... beaucoup de gens voudraient mourir là-bas ? ?

  Je murmurai : ? Oui. S'il s'agit de fidèles de certaines religions, ils seraient probablement prêts à parier leur vie entière, juste pour y aller après leur mort. ?

  ? Mais je n'ai jamais entendu parler de cette ?le, ? dit-il en souriant. ? J'imagine que ces 'héros' ont aussi été oubliés par l'histoire. ?

  Je refermai la tablette : ? Cette fois, nous ne venons pas piller leurs tombes. ?

  ? Pas piller des tombes ? Alors on pille quoi ? ? Il haussa un sourcil.

  ? Cyclope a trouvé une carte au trésor dessinée à la main dans un livre de prières. L'endroit indiqué, c'est cette ?le. ?

  Il siffla : ? D'accord, le moment venu, on écoutera tous le chef. ? Puis il fron?a de nouveau les sourcils : ? On ne va quand même pas transformer toute l'?le en passoire, hein ? ?

  ? Ce ne sera pas nécessaire. ? Je regardai l'horizon marin qui s'assombrissait. ? Ce qui se trouve là-bas, c'est peut-être justement parce que ?a ne peut pas être emporté. Nous ne savons pas pourquoi. Nous le saurons en y allant. ?

  Cyclope sortit du bureau du dispatcheur, me tendit la liasse de documents fra?chement approuvés, chargea lui-même une caisse de matériel photographique sur son épaule et monta à bord du yacht sans un regard en arrière.

  Debout sur le quai, je feuilletai les documents.

  Mes doigts se tournèrent instinctivement vers la page de la liste du personnel.

  Anubis y figurait aussi.

  Je fixai ce nom, silencieuse un instant, voulant me retourner pour demander à Cyclope où il se trouvait, mais le vieil homme avait déjà disparu sur le pont.

  Je soupirai, n'eus d'autre choix que de fourrer le dossier dans mon sac et d'appeler Cobra pour qu'il me suive à bord.

  Soudain, la lueur de l'écran de mon téléphone attira mon attention.

  C'était un message de tante Charlotte : ? Ma chère Sylvie, viendras-tu passer tes vacances chez moi ? Les raisins sont beaux cette année. ? Elle avait joint une photo d'elle, debout devant sa petite maison de village, tenant un énorme bouquet d'hortensias.

  Je répondis rapidement : ? Je ne suis pas encore s?re, j'ai encore du travail en ce moment. Si je rentre, ce sera probablement vers la fin de saison. Ces hortensias sont magnifiques, tu me manques beaucoup. ?

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