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Chapitre 3 : Le monastère

  Br?lé, tout est br?lé. Songea Taenya en prenant ce qui restait d’un livre entre ses mains. Les pages s'effritèrent et le tout tomba presque en morceaux malgré la délicatesse qu’elle mettait dans ses gestes. Elle tourna sur elle, son long manteau orange tra?nant dans la cendre. De ses yeux bleu nuit, elle observait la pièce. Cela avait d? être une salle d’étude, à la fa?on dont étaient disposés les restes des tables. Sur l’une d’elles gisait un corps carbonisé, quelques morceaux de tissu blanc étaient encore accrochés à sa chair.

  Je suis arrivée trop tard, se dit-elle en serrant une mèche de ses longs cheveux noirs dans ses mains pour calmer sa frustration. Cependant, elle réalisa qu’il pouvait encore y avoir une chance. Ceux qui avaient br?lé et pillé le monastère de Sacrelac étaient peut-être venus pour la même raison qu’elle. Aucun livre ne semblait avoir été pris, mais maintenant qu’elle y pensait, l’ouvrage qu’elle cherchait était s?rement la raison pour laquelle ce lieu avait d? subir ce sort. Après tout, qui serait assez fou pour s’attaquer à l’église du Grand Juge si cela n’en valait pas la peine. Si elle trouvait ceux qui avaient commis ce massacre, alors elle trouverait le livre. Mais traquer ces derniers allait être difficile. Le feu avait bien fait son affaire. Les murs en pierre étaient brisés et fissurés, le toit de tuiles était ouvert à de multiples endroits, mais le sol était celui qui en avait subi le plus. Les dalles de pierre étaient méconnaissables, quand elles n’étaient tout simplement recouvertes de suie. Elle n’avait trouvé aucune trace de qui ou de quoi que ce soit. Sa seule chance était de trouver une potentielle survivante. Et elle savait que, si quelqu’un avait survécu, elle serait bien cachée. Sans plus réfléchir, elle se mit au travail.

  Elle s’agenouilla dans un coin de la pièce où la cendre était moins présente, et elle ferma ses yeux. Elle inspira, expira, se concentrant sur le mouvement de l’air, sur le calme. Le silence se fit dans son esprit, sa colère et sa frustration disparurent comme s’ils n'avaient jamais existé. Soudainement, elle le sentit. Sa conscience franchit le voile de la réalité. Le Lothindor lui apparut, clair et net, tout comme sa propre ame dans ce dernier. Elle prit le temps d’éloigner sa conscience. Elle avait toujours besoin de reprendre ses marques à chaque fois qu’elle prenait possession de son corps spirituel. En se regardant elle-même, elle constata qu’elle avait l’air fatiguée : des cernes se dessinaient sous ses yeux bleus, sur sa peau olive. Elle se recentra sur son objectif. Errant dans les couloirs du monastère sous sa forme astrale, elle chercha, regardant et ressentant les courants spirituels autour d’elle. Tout était mort, comme dans la pièce où elle se trouvait. Des corps laissés dans des poses de terreur, de surprise. Son regard s’arrêta sur les restes de deux S?urs du Savoir, enlacées l’une avec l’autre dans leur dernier instant, avant que le feu ne les consume.

  Elle continua son cheminement. Elle arriva bient?t face à la bibliothèque. En fouillant minutieusement dans les vastes allées de cette dernière, elle tomba sur une pièce encore gardée par de lourdes grilles de fer, qui avaient été brisées en morceaux avec violence. Derrière se trouvait la première chose qu’elle cherchait. C’était une petite armoire en chêne, dont le cadenas avait été brisé. L’armoire était vide. Cela la rassura : son hypothèse était juste, le livre n’avait pas été br?lé avec le reste. Sans s'attarder, elle continua sa fouille du monastère. Après avoir passé les différentes salles ainsi que les jardins au peigne fin, elle se dirigea vers le dernier endroit : la cave.

  Avant même que son corps astral n’entre, elle put sentir une présence, une petite présence. Cependant, en entrant, elle ne vit rien. La pièce était plongée dans le noir complet, et même au sein du Lothindor, l’absence de lumière se faisait ressentir. Pourtant, elle sentait que quelqu’un était là, quelqu’un qui, peut-être même inconsciemment, arrivait à dissimuler sa position au niveau spirituel. Elle devrait y aller physiquement.

  En regagnant son corps, elle se sentit engourdie, comme à chaque fois. Elle se releva avec difficulté, entreprenant d’aller vers la cave, se dégourdissant les jambes sur le chemin. Arrivée face à l'entrée, elle n’eut aucun mal à ouvrir les grands battants de bois qui marquaient l’entrée de l’escalier. En vérité, ces derniers s’effondrèrent dès qu’elle les saisit, les planches dégringolant dans l'escalier en pierre de la cave.

  Plus besoin de se faire discrète, j’imagine.

  Alors que la lumière du jour envahissait l'endroit, elle ne vit toujours pas la personne qui s’y cachait. Pourtant, il n’y avait là que des caisses de petite taille, derrière lesquelles aucun adulte n’aurait pu se dissimuler. Elle descendit les marches lentement, levant ses mains.

  — Je ne vous veux aucun mal.

  Elle n’eut aucune réponse. Cependant, alors qu’elle descendait la dernière marche et que son pied se posa sur la pierre froide qui servait de sol à la petite pièce, elle sentit quelque chose la piquer au niveau de la cuisse. Quelque chose de pointu. Très vite, la sensation fut suivie par une voix grin?ante, mais qui semblait étrangement jeune.

  — Bouge pas, sinon ?a va mal finir.

  Elle essaya de tourner la tête pour voir son agresseur, mais elle ne vit rien, jusqu’à ce qu’elle abaisse son regard. Là, dissimulé en partie par les ténèbres et par ses vêtements sombres, se trouvait un jeune gobelin. Du haut de ses un mètre vingt, il ne devait même pas avoir vingt ans. Son visage était en partie dissimulé par un capuchon de la même couleur que ses vêtements, dans lequel il avait percé deux trous pour laisser passer ses grandes oreilles. Pourtant, elle put distinguer son visage : sa peau verte, les petites mèches noires qui pendaient sur son front, et surtout les deux grands yeux jaunes, dont les pupilles rappelaient celles d’un chat. Pour finir, il avait des bandages au niveau des mains, desquelles dépassaient des doigts sales mais fins. L’une de ses mains tenait un long poignard.

  — Ma?tre gobelin, je ne vous veux aucun mal, lacha Taenya en essayant de calmer la situation.

  — Je suis pas le ma?tre de qui que ce soit, m’appelle pas comme ?a, l’aristo.

  — Je n’ai jamais dit que j’étais noble.

  — Pas besoin, je reconnais ceux de ton espèce, à la manière dont vous vous habillez, dont vous marchez.

  — Je l’admets, je suis noble. Et comment je dois vous appeler ?

  — Pas tes affaires.

  — Et bien, pourrais-je savoir la raison pour laquelle vous me menacez ?

  Le petit être plissa ses yeux.

  — Tu m’as pas l’air d’être avec eux, mais on n’est jamais trop prudent.

  — J’imagine que vous faites référence aux hommes qui ont attaqué cet endroit. Vous savez qui ils sont ?

  Il fron?a les sourcils et ne répondit pas à la question.

  — Pourquoi t’es là, toi ?

  — Je pourrais vous retourner la question.

  — Sauf que c’est moi qui tiens le poignard. Mais ?a n’a pas l’air de te faire peur, soit t’es inconsciente, soit tu caches quelque chose.

  — Inconsciente, non.

  Elle se concentra, du mieux qu’elle put vu les circonstances stressantes. Elle ferma les yeux, ses mains toujours levées. Elle ne put faire qu’un mouvement avec son corps astral, mais ce dernier fut suffisant. En un geste, elle projeta l’image astrale de l’arme de son agresseur. Quand elle rouvrit les yeux, le poignard réel était désormais dans ses mains, tandis que celui qui le tenait auparavant restait stupéfait.

  This book was originally published on Royal Road. Check it out there for the real experience.

  — Que… Quoi !?

  Il ne s’étonna pas longtemps. Tel un animal, il se précipita vers la main de Taenya en tentant de reprendre son outil. Cette dernière fit un pas en arrière, pointant l’arme vers son ancien propriétaire. Ce dernier se figea net, le regard rivé sur la lame, puis recula d’un pas souple, presque en bondissant. Il s’accroupit, les muscles tendus, prêt à fuir ou à fondre à nouveau.

  — Comment t’as fait ?a ? demanda-t-il toujours en alerte.

  — Un simple tour de passe-passe. répondit t-elle en souriant légèrement

  Le gobelin fron?a les sourcils, visiblement il ne la croyait pas. Cependant, il n’insista pas plus.

  — Très bien, maintenant, il semble que ce soit moi qui pose les questions. C’est dommage, les choses auraient pu se passer différemment.

  — Tu sais même pas t’en servir correctement, l’aristo, tu le tiens n’importe comment.

  Elle ricana légèrement en répondant :

  — Je pense pouvoir m’en servir assez bien pour faire regretter toute tentative de le reprendre.

  Le gobelin fit une nouvelle moue, l’air renfrogné, avant de répondre :

  — Très bien. Qu’est-ce que tu veux ?

  — Tout d’abord, votre nom. La bienséance veut que nous nous présentions.

  Il éclata de rire dans ce qui ressemblait à un couinement de rongeur, puis effectua une révérence moqueuse sur un seul pied, sans que cela ne semble gêner son équilibre.

  — Très bien, votre seigneurie. Moi c’est Suri. Comment que tu t’appelles, toi ?

  — Je suis dame Taenya.

  — Bizarre comme nom. T’es pas d’ici.

  — Non, en effet. Maintenant, vous allez répondre à mes autres questions. Pourquoi êtes-vous là ? Que s’est-il passé ici exactement ? Et qui a attaqué cet endroit ?

  Le sourire du gobelin s'effa?a et, à la place, il se mit à arborer un air sombre.

  — Moi, si je suis là, c’est pour mes raisons, et ?a te regarde pas. Pour ce qui s’est passé ici, et bien, c’est une attaque. Ils sont venus cette nuit, alors que les s?urs dormaient. Je les ai entendues, et j'ai pu me cacher. Pour le reste, je peux juste donner le nom des responsables. Ils se surnomment eux-mêmes la Lune d’Acier. Ils sont puissants, mais je pensais pas qu’ils seraient assez fous pour sortir de leur territoire, et encore moins qu’ils attaqueraient un monastère de l’église.

  Ce gobelin avait raison. L’église du Grand Juge était puissante ; les attaquer, c’était risquer de perdre gros, à moins que ce qu’il y avait à gagner ne vaille largement le co?t.

  — Ce sont des bandits, j’imagine. Et quel est ce territoire dont vous parlez ?

  — Des bandits ? J’imagine qu’on peut les appeler comme ?a, même s’ils sont pas vraiment du genre à tendre des embuscades dans les bois. Non, eux, c’est des rats des villes. Leur territoire, c’est rien de moins que la belle cité d’Argemont, et de ce que j’en sais, ils sont puissants là-bas.

  — Comment les connaissez-vous donc ? Vous faites également partie de ce milieu ?

  Le petit être ricana en faisant un grand sourire.

  — Te fous pas de moi, l’aristo. T’as vu à quoi je ressemble ? Comment je t’ai menacée avec mon couteau ? Tu te doutes bien que je suis pas vraiment un honnête gobelin. Et puis j’ai d? me renseigner pour des choses personnelles, mais ?a, c’est pas tes affaires. Maintenant, si c’est tout ce que tu voulais savoir, rends-moi mon arme et je te promets que je te plante pas.

  — Il y a une dernière chose que je voulais savoir : ces hommes, est-ce que vous les avez vus prendre un livre ?

  — De ce que je sais, ils ont tout br?lé. Mais c’est pas impossible. Il y avait un paquet de bouquins dans ce monastère, s?rement que certains valaient tellement que ?a aurait été dommage de les cramer. Je peux pas te dire plus. Je suis pas fou, moi. Je suis resté planqué ici pendant la majorité de l’attaque. à peine eu le temps de voir les tatouages de ceux qui ont fait ?a. C’est comme ?a que je les ai reconnus.

  Taenya hocha la tête. Elle hésita, avant de finalement rendre le couteau au gobelin, qui le prit avec méfiance, ses deux yeux jaunes la fixant tout le long de l’échange.

  — Et maintenant ? demanda-t-il.

  — Maintenant, nous sommes libres de partir chacun de notre c?té. Je ne vois pas de raison de s’attarder plus longtemps ici.

  — Après toi, l’aristo. T’inquiète pas, je vais rien tenter si tu tentes rien. Parole de voleur.

  étrange concept que la parole d’un criminel, se dit-elle.

  Tout en jetant un ?il régulier à cette étrange femme, Suri en profitait pour scruter le lieu. Il n’était pas ressorti de sa cachette depuis l’attaque. Il avait l’estomac solide, pourtant lorsqu’il découvrit les corps calcinés, il eut un haut-le-c?ur. Aucune de ces bonnes femmes n’avait mérité ?a. Il avait piqué dans leurs réserves tout le temps où il était là, mais jamais il ne leur avait souhaité de mal.

  Il essaya d’oublier, alors qu’il continuait de suivre la mystérieuse visiteuse, sa main toujours sur son poignard. Il n’allait rien tenter. Il n’avait rien à gagner. Cette noble n’avait rien d’ordinaire. Son tour de passe-passe, comme elle avait dit, n’en était clairement pas un. Il était s?r de ne pas avoir laché son arme. Le gobelin ne savait pas à quoi il avait affaire, et il détestait cela.

  Très vite, ils débouchèrent tous deux sur la cour du monastère — ou ce qu’il en restait. Suri baissa les yeux pour éviter d’être ébloui par le soleil du début d’après-midi. C’est alors qu’il les vit : des marques de sabots. Beaucoup trop de sabots. Bon sang, combien ils étaient pour un pauvre monastère ?

  Il marcha un peu, dépassant la noble par la même occasion. Le regard toujours baissé, il continua de suivre les traces. Très vite, il arriva en dehors de la cour, là où passait la grande route qui menait vers Argemont. Pourtant, les traces ne la suivaient pas. à la place, elles bifurquaient dans les bois qui longeaient le grand lac. Si la bande a continué sur cette route, alors, si ce n’est pas déjà fait, ils vont arriver à Haut-Lac. Là même où j’ai dit à Bertol de me retrouver. Dis-moi que t’as du retard. Dis-moi que t’es pas arrivé trop t?t.

  — Ces traces sont les leurs, j’imagine ? demanda la noble dans son dos.

  — Oui. Et pourquoi ?a vous intéresse ?

  — Disons que les hommes qui ont attaqué cet endroit ont quelque chose que je veux. Et vous, quel intérêt avez-vous à les suivre ? J’aurais pensé qu’après ce qui s’était passé ici, vous alliez les éviter.

  — J’ai… La direction qu’ils ont prise a changé mes plans.

  Au regard per?ant qu’elle lui lan?a, Suri sut que cette femme n’avait pas plus confiance en lui que lui en elle. Pourtant, elle n’insista pas plus que ?a.

  — Où se dirigent-ils ?

  — Haut-Lac. Un petit village. Mais ?a ne sert à rien d’y aller. Les traces datent de quelques heures. Ils sont probablement déjà là-bas. Ils étaient déjà partis depuis longtemps avant qu’on arrive.

  — Je peux vous faire arriver à temps, ne vous inquiétez pas. Donnez-moi simplement une description du lieu la plus fidèle possible, et restez immobile, je vous prie, dit-elle tout en s’asseyant en tailleur sur le sol poussiéreux de la grande route, ne se souciant guère de salir son élégant pantalon de cuir.

  — Qu’est-ce que tu vas faire, l’aristo ? demanda-t-il, méfiant.

  — Voulez-vous arriver là-bas à temps ?

  — Heu… oui, répondit-il, hésitant.

  — Alors faites ce que je vous dis. Si tout se passe bien, nous devrions être là-bas dans quelques minutes.

  Suri était ahuri par ce que venait de dire cette femme, mais encore plus par la manière dont elle l’avait dit. Elle ne rigolait pas, et elle n’avait pas non plus l’air folle. Haut-Lac était à au moins une demi-journée de marche, quelques heures si l’on courait dans les bois, ou qu’on avait une bonne monture. Mais quelques minutes ?

  Pourtant, maintenant qu’il y pensait, la fa?on dont cette dénommée dame Taenya avait pris son arme n’avait rien de naturel. Il y avait quelque chose à l'?uvre qu’il ne comprenait pas. Cela l'inquiétait, mais moins que d’imaginer Bertol en danger. Il n’avait pas le choix. Il allait devoir faire confiance aux mystérieuses capacités de cette noble.

  Il entreprit donc de lui décrire le village. Quand il eut fini, elle lui demanda de se taire. Elle insista sur le fait qu’il ne devait pas bouger. Après de longues minutes, elle déclara, en ouvrant ses yeux bleus qui brillaient alors d’une étrange lueur, comme deux saphirs illuminés par la lune :

  — C’est prêt, déclara-t-elle.

  Soudainement, Suri sentit une vibration parcourir tout son corps, alors qu’en face de lui, le corps de la noble tremblait de manière non naturelle, sans que cela ne semble l’inquiéter. Il avait l’impression que le monde tout entier lui criait de rester là où il était, alors qu’une autre force voulait le faire bouger. Très vite, ce fut cette dernière qui l’emporta, et c’est dans un flash aveuglant qu’il se sentit transporté à plusieurs lieues de là.

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