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Chapitre 4

  Chapitre 4

  Le carillon de la porte d'entrée tira Enzo de sa somnolence. Assis à la table de la cuisine, une tasse de café froid devant lui, il n'avait pas réussi à trouver le sommeil malgré l'épuisement qui pesait sur ses épaules. Son esprit continuait de naviguer entre les tranchées de Verdun, les rues de Lyon sous l'Occupation, et les mélodies lancinantes du Midnight Star.

  "J'y vais," lan?a Mireille depuis le salon.

  Des voix féminines lui parvinrent, suivies de pas dans le couloir. Sophie Valnier apparut dans l'encadrement de la porte, son éternelle sacoche en cuir à l'épaule et un dossier sous le bras. Ses yeux verts, habituellement pétillants de curiosité, s'assombrirent en constatant l'état d'Enzo.

  "Tu as une mine affreuse," dit-elle sans préambule.

  "Bonjour à toi aussi, Sophie," répondit-il avec un faible sourire.

  Sophie déposa ses affaires sur la table et posa une main sur son front, dans un geste à mi-chemin entre le professionnel et le maternel. "Pas de fièvre. Juste l'air de quelqu'un qui n'a pas dormi depuis trois jours."

  "Deux nuits," corrigea Enzo. "Et j'ai un peu dormi... je crois."

  Sophie échangea un regard inquiet avec Mireille qui haussait les épaules en signe d'impuissance. à trente-deux ans, Sophie était plus qu'une simple collègue pour Enzo. Spécialiste des documents historiques à l'université où il enseignait, elle était devenue au fil des années une amie proche, l'une des rares personnes avec qui il pouvait discuter pendant des heures de détails historiques que la plupart jugeraient insignifiants.

  "Tu t'occupes des papiers administratifs?" demanda-t-elle en s'asseyant face à lui. "Je peux t'aider, si tu veux. J'ai l'habitude de la paperasse."

  Enzo hésita. Une partie de lui br?lait de tout lui raconter — les lettres, les voyages, l'incroyable expérience qu'il vivait. Mais comment expliquer l'inexplicable sans passer pour un homme en pleine crise de deuil, s'accrochant à des fantasmes pour échapper à la réalité?

  "Merci d'être venue," dit-il finalement. "Il y a effectivement beaucoup de documents à trier."

  "Ce n'est rien." Elle sortit son ordinateur portable. "J'ai aussi apporté ces informations sur la Nouvelle-Orléans dont je t'ai parlé. Même si je ne comprends toujours pas ce soudain intérêt pour les années 20."

  Mireille intervint, offrant à Sophie une tasse de café. "Le chagrin nous fait parfois nous raccrocher aux choses les plus inattendues. Jean adorait cette période, toutes ces histoires de contrebande et de jazz."

  Le mensonge était si naturel qu'Enzo en fut presque impressionné. Sa grand-mère protégeait leur secret familial avec une aisance née de décennies de pratique.

  "D'ailleurs," poursuivit Sophie en ouvrant son ordinateur, "j'ai trouvé des informations fascinantes sur ce club dont je t'ai parlé — The Midnight Star. Il était tenu par un certain Robert Beaumont, un personnage assez mystérieux. Ancien combattant de la Première Guerre mondiale devenu contrebandier, puis propriétaire de l'un des speakeasies les plus célèbres de la Nouvelle-Orléans."

  Enzo sentit un frisson parcourir son échine. "Qu'est-ce qui est arrivé à ce club?"

  "C'est là que ?a devient intéressant," dit Sophie, les yeux brillants d'excitation académique. "En mars 1920, le Bureau de la Prohibition a organisé une descente, mais ils n'ont trouvé que des locaux vides. Beaumont et tout son personnel s'étaient volatilisés la veille, comme s'ils avaient été prévenus."

  "Ils ont été prévenus," murmura Enzo, se rappelant la conversation entre Robert et l'agent Mercer.

  "Pardon?"

  "Rien, une supposition. Continue."

  "Le plus étrange," poursuivit Sophie, "c'est que deux jours plus tard, un bateau en provenance de Cuba a été intercepté dans le bayou. à son bord, une vingtaine de réfugiés politiques et, selon les rapports, une 'cargaison de valeur historique exceptionnelle' qui n'a jamais été officiellement identifiée."

  Enzo échangea un regard avec Mireille. Le "chargement spécial" dont parlaient Robert et Josephine. Les pièces du puzzle commen?aient à s'assembler.

  "Et Beaumont?" demanda-t-il. "Qu'est-il devenu?"

  "Il a refait surface à Chicago quelques mois plus tard, puis a complètement disparu des archives après 1924. Certains historiens pensent qu'il a été éliminé par la mafia, d'autres qu'il a changé d'identité et s'est reconverti." Sophie le regarda avec curiosité. "Pourquoi cet intérêt particulier? Tu prépares un nouveau cours?"

  "Une simple curiosité," éluda Enzo. "Tu as mentionné des réfugiés cubains. Sais-tu qui ils étaient?"

  "Principalement des intellectuels et des artistes fuyant la répression politique. Mais un nom revient dans plusieurs documents : le 'Professeur Kovalev'. Un émigré russe, apparemment."

  Russe. Le lien avec la prochaine lettre — Saint-Pétersbourg, 1917 — se précisait. Ce n'était pas une co?ncidence.

  "Sophie," dit-il lentement, "as-tu déjà entendu parler d'un lien entre la révolution russe et la Nouvelle-Orléans?"

  Elle pencha la tête, intriguée. "C'est spécifique comme question. Il y a eu plusieurs vagues d'immigration russe après 1917, mais principalement vers New York ou l'Europe de l'Ouest." Elle fit une pause, réfléchissant. "Attends... Il y a bien cette rumeur concernant certains trésors des Romanov qui auraient quitté la Russie via différentes routes d'exil. Certains auraient pu transiter par Cuba avant d'atteindre les états-Unis. Mais c'est largement considéré comme une légende urbaine."

  Les Romanov. Anastasia. La constellation qui se complète. Tout convergeait vers la Russie impériale à la veille de sa chute.

  "Je dois monter un moment," dit Enzo en se levant brusquement. "Il y a des documents dans le grenier que je voudrais vérifier."

  Sophie échangea un nouveau regard avec Mireille, clairement préoccupée par son comportement erratique. "Je peux t'aider si tu veux. Les documents anciens, c'est ma spécialité, après tout."

  "Non!" La réponse avait fusé trop vivement. "Je veux dire, ce n'est pas nécessaire. Je connais bien la classification de mon grand-père. Je n'en ai pas pour longtemps."

  Avant qu'elle ne puisse insister, il quitta la cuisine et monta rapidement l'escalier. Dans le grenier, il alla droit à la bo?te marquée "L.O." et en sortit la lettre de Saint-Pétersbourg. Datée du 12 février 1917, elle était écrite sur un papier de qualité supérieure, avec un en-tête officiel en cyrillique. Une traduction soigneuse avait été ajoutée en marge, probablement par son grand-père.

  Mais Enzo hésita à commencer sa lecture. Les avertissements de Mireille résonnaient dans son esprit, renforcés par la fatigue accumulée. Et maintenant, il y avait Sophie en bas, qui s'inquiétait déjà de son état. Que se passerait-il si elle montait et le trouvait inconscient, en pleine "transe temporelle"?

  Il replia soigneusement la lettre et la glissa dans sa poche. Ce voyage devrait attendre qu'il soit seul. Pour l'instant, il devait donner le change et rassurer Sophie.

  De retour dans la cuisine, il trouva les deux femmes engagées dans une conversation à voix basse qui s'interrompit à son entrée.

  "Désolé," dit-il. "Je ne trouvais pas ce que je cherchais."

  "Enzo," commen?a Sophie avec une douceur calculée, "Mireille me disait que tu n'as presque pas dormi depuis l'enterrement. Je comprends que le chagrin puisse être... dévorant, mais tu dois prendre soin de toi."

  "Je vais bien," répondit-il automatiquement. "C'est juste que... il y a tellement de choses à faire, à organiser."

  "Justement," dit-elle en posant une main sur son bras. "Laisse-moi t'aider avec ces papiers aujourd'hui. Et ensuite, tu devrais rentrer chez toi et dormir dans ton propre lit. Un peu de distance peut faire du bien."

  L'idée de quitter la maison, de s'éloigner des lettres, provoqua en lui une anxiété inattendue. "Je préfère rester encore quelques jours. Pour Mireille."

  "Je peux me débrouiller seule," intervint sa grand-mère avec un sourire rassurant. "Sophie a raison. Un peu de normalité te ferait du bien."

  Enzo se sentit soudain piégé entre son obsession grandissante pour les lettres et son désir de ne pas inquiéter davantage ses proches. "D'accord," concéda-t-il finalement. "Je rentrerai ce soir. Mais d'abord, finissons ces papiers."

  Les heures suivantes furent consacrées à un travail administratif fastidieux mais nécessaire. Déclarations de décès, assurances, banques, succession — la mort générait une paperasserie aussi abondante qu'impersonnelle. Tout au long de la journée, Enzo sentit le poids de la lettre dans sa poche, comme si elle émettait une chaleur particulière, un appel silencieux auquel il devenait de plus en plus difficile de résister.

  Sophie partit en fin d'après-midi, après lui avoir fait promettre une nouvelle fois de rentrer se reposer. "Je t'appelle demain," dit-elle en l'étreignant. "Et n'oublie pas, mardi on reprend les cours. Le département compte sur toi pour la conférence sur les mouvements de résistance du XXe siècle."

  La conférence. Le monde réel. Sa vie d'avant les lettres semblait désormais lointaine, comme un film dont il se rappelait vaguement l'intrigue.

  Après le départ de Sophie, Enzo aida Mireille à préparer un repas léger. Ils mangèrent en silence, chacun perdu dans ses pensées.

  "Tu vas vraiment rentrer chez toi ce soir?" demanda finalement la vieille dame.

  "Je pense que c'est mieux," dit-il. "Pour te rassurer, et Sophie aussi."

  "Mais tu emportes la lettre, n'est-ce pas?"

  Enzo ne chercha pas à nier. "Je dois savoir, Mamie. Chaque voyage m'apporte des réponses, mais aussi plus de questions. Je sens que nous approchons de quelque chose d'important."

  Mireille hocha lentement la tête. "Jean disait la même chose. Que tout convergeait vers un point crucial." Elle se leva et se dirigea vers un petit secrétaire dans le coin de la salle à manger. D'un tiroir, elle sortit une enveloppe jaunie qu'elle lui tendit. "Il voulait que je te donne ceci quand tu serais 'prêt'. Je crois que ce moment est venu."

  Enzo ouvrit l'enveloppe avec précaution. Elle contenait une photographie en noir et blanc, datant visiblement des années 1960. On y voyait Jean, plus jeune, debout devant ce qui semblait être un site archéologique. à ses c?tés se tenait un homme plus agé, aux traits austères mais au regard bienveillant.

  "Qui est-ce?" demanda Enzo.

  "Le professeur Kader. Un collègue de ton grand-père quand il travaillait sur des sites historiques en Algérie. Ils sont restés en contact pendant des années après." Mireille désigna l'arrière-plan de la photo. "Regarde le mur derrière eux."

  Enzo plissa les yeux. Gravée dans la pierre, à peine visible dans la lumière crue du soleil algérien, se trouvait une constellation familière — la Grande Ourse.

  "Ce n'est pas une co?ncidence, n'est-ce pas?" murmura-t-il.

  "Jean disait que les Kader étaient 'gardiens' depuis des générations. Je n'ai jamais vraiment compris de quoi, mais il semblait penser que votre rencontre en Algérie n'était pas due au hasard."

  Un nouveau morceau du puzzle. Une nouvelle branche dans ce réseau temporel complexe qui semblait s'étendre bien au-delà des lettres elles-mêmes.

  "Est-il toujours vivant? Ce professeur Kader?"

  "Je ne sais pas. Jean recevait parfois des lettres d'Algérie, mais la dernière doit remonter à plusieurs années." Mireille hésita, puis ajouta: "Il avait un fils, je crois. Un médecin."

  "J'aimerais les retrouver," dit Enzo, déjà plongé dans ces nouvelles possibilités. "Ils pourraient avoir des réponses."

  "Peut-être. Mais d'abord, je crois que tu devrais suivre le chemin que les lettres te tracent." Mireille se leva, signalant la fin de leur conversation. "Fais attention à toi, Enzo. Ces voyages... ils ne sont pas sans risque."

  Une heure plus tard, Enzo était de retour dans son appartement du centre de Lyon. Le contraste avec la maison familiale était saisissant — ici, tout était moderne, fonctionnel, presque impersonnel. Seule sa bibliothèque débordante de livres d'histoire témoignait de sa passion.

  Il déposa son sac de voyage et sortit la lettre de sa poche. La nuit était tombée, offrant un cadre propice à ce nouveau voyage temporel. Il s'installa dans son fauteuil de lecture, alluma une lampe, et prit quelques instants pour se préparer mentalement. Cette fois, il placerait son téléphone en mode enregistrement vidéo, espérant capturer davantage d'indices sur ce qui se passait pendant ses "absences".

  La lettre était signée par un certain Mikhail Kovalev, adressée à son frère Ivan. Ce nom résonna immédiatement dans l'esprit d'Enzo — Kovalev, comme le "Professeur Kovalev" mentionné par Sophie, l'émigré russe qui avait fui vers Cuba puis la Nouvelle-Orléans.

  Il commen?a à lire à voix haute, les mots en fran?ais de la traduction résonnant dans le silence de l'appartement.

  "Saint-Pétersbourg, 12 février 1917

  Mon cher frère,

  L'hiver s'éternise, glacial et impitoyable, à l'image de l'humeur qui règne dans notre ville. Les files d'attente pour le pain s'allongent chaque jour, et les visages se durcissent. Des rumeurs circulent sur l'impératrice et son étrange dévotion pour ce moine sibérien que beaucoup considèrent comme un charlatan. Le tsar semble de plus en plus isolé dans sa bulle de privilèges, ignorant les souffrances de son peuple.

  Ma position au palais devient chaque jour plus périlleuse. être précepteur des enfants impériaux était autrefois un honneur; c'est aujourd'hui une marque qui pourrait me condamner. Pourtant, je ne peux me résoudre à abandonner mes élèves, surtout la jeune Anastasia. Son esprit vif et sa curiosité insatiable sont un baume dans ces temps troublés."

  Alors qu'il poursuivait sa lecture, Enzo sentit les signes désormais familiers du voyage imminent. Le léger vertige, l'air qui semblait s'épaissir autour de lui, les sons de son appartement qui s'estompaient graduellement. La lampe vacilla, projetant des ombres dansantes sur les murs.

  Puis, tout bascula.

  Le froid le saisit d'abord, un froid mordant qu'il n'avait jamais expérimenté auparavant. L'air glacial pénétrait ses vêtements comme des aiguilles de glace, s'infiltrant jusqu'à ses os. Lorsque sa vision s'éclaircit, il se trouvait dans un corridor majestueux aux murs ornés de dorures et de tableaux imposants. Des fenêtres hautes laissaient entrer une lumière hivernale qui se reflétait sur le parquet ciré.

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  Le Palais d'Hiver. La résidence des Romanov à Saint-Pétersbourg.

  Des voix lui parvinrent depuis une pièce adjacente — une voix d'homme, posée et cultivée, et une voix plus jeune, féminine, animée d'une énergie juvénile.

  Enzo s'approcha silencieusement. à travers l'embrasure d'une porte entrouverte, il aper?ut une bibliothèque somptueuse. Assis à une grande table couverte de livres et de cartes, un homme d'une quarantaine d'années écoutait attentivement une jeune fille qui pointait avec enthousiasme divers endroits sur ce qui semblait être une carte du ciel.

  "Voyez, Professeur Kovalev," disait-elle en fran?ais avec un léger accent russe, "la Grande Ourse appara?t différemment selon les saisons, mais elle reste toujours visible. Papa dit que c'est la constellation la plus fiable pour naviguer."

  "En effet, Votre Altesse," répondit l'homme avec un sourire bienveillant. "Les marins l'utilisent depuis des millénaires pour se guider dans l'obscurité."

  La jeune fille ne devait pas avoir plus de quinze ou seize ans. Ses cheveux chatains étaient coiffés en un chignon simple mais élégant, et elle portait une robe modeste quoique manifestement de grande qualité. Mais ce fut son visage qui attira l'attention d'Enzo — des traits fins, des yeux expressifs, et un sourire qui illuminait toute sa physionomie.

  Anastasia Romanov, la plus jeune fille du tsar Nicolas II.

  "Pensez-vous que les étoiles puissent nous guider dans d'autres domaines, Professeur?" demanda-t-elle, soudain plus sérieuse. "Mère consulte les astres avec Monsieur Raspoutine. Elle dit qu'ils prédisent l'avenir."

  Kovalev sembla peser sa réponse. "La science nous enseigne que les étoiles sont des corps célestes, Votre Altesse, pas des oracles. Mais..." Il baissa la voix. "Certaines cultures croient qu'elles peuvent marquer des chemins à travers le temps lui-même."

  Anastasia le regarda avec des yeux écarquillés de fascination. "Comme les égyptiens? Nous avons étudié leurs alignements stellaires la semaine dernière."

  "Exactement. Mais aussi d'autres civilisations, moins connues." Il désigna un point spécifique sur la carte céleste. "Cette formation, par exemple. Certains manuscrits anciens la décrivent comme une 'porte entre les temps'."

  La jeune princesse allait répondre quand la porte s'ouvrit complètement, révélant une femme au port altier, vêtue avec une élégance sobre. Kovalev et Anastasia se levèrent immédiatement.

  "Votre Majesté," s'inclina profondément le précepteur.

  L'impératrice Alexandra, comprit Enzo. L'épouse allemande du tsar Nicolas II, dont l'influence sur son mari et sa dévotion controversée à Raspoutine alimentaient le mécontentement populaire.

  "Professeur," dit-elle d'une voix empreinte d'autorité, "je dois vous emprunter ma fille. Le docteur Botkine souhaite l'examiner."

  Une ombre d'inquiétude traversa le visage de Kovalev. "Son Altesse Impériale ne se sent pas bien?"

  "De simples précautions," répondit l'impératrice avec raideur. "Alexei a eu une nouvelle crise cette nuit. Nous vérifions que ses s?urs ne présentent aucun sympt?me."

  Alexei, l'héritier du tr?ne, souffrait d'hémophilie, une condition génétique qui mena?ait constamment sa vie et qui avait poussé l'impératrice à chercher l'aide de Raspoutine, réputé pour son influence apaisante sur le jeune tsarévitch.

  "Bien s?r, Votre Majesté." Kovalev s'inclina à nouveau. "Nous reprendrons notre le?on demain, si l'état de santé de Son Altesse le permet."

  Anastasia lan?a un regard dé?u à son précepteur, puis suivit sa mère hors de la bibliothèque. Kovalev resta seul, son visage passant de la déférence courtoise à une expression de profonde préoccupation.

  Il s'approcha d'une fenêtre donnant sur la place du Palais et observa longuement la neige qui tombait. Au loin, on distinguait une colonne de fumée noire s'élevant au-dessus des toits de la ville.

  "Encore des troubles aux usines Poutilov," murmura-t-il pour lui-même. "Cela ne peut plus durer ainsi."

  Le précepteur retourna à la table et sortit de sa poche un petit carnet qu'il ouvrit avec précaution. à l'intérieur, Enzo aper?ut un dessin minutieux de la Grande Ourse, avec des annotations en russe qu'il ne pouvait déchiffrer. Kovalev ajouta quelques notes, puis glissa entre les pages ce qui semblait être une petite clé en or.

  Un bruit dans le corridor le fit sursauter. Il referma précipitamment le carnet et le dissimula dans sa veste au moment où un homme entrait dans la bibliothèque.

  "Mikhail Ivanovitch," dit le nouveau venu à voix basse, "nous devons parler."

  L'homme était plus jeune que Kovalev, habillé avec l'uniforme d'un officier de la garde impériale. Ses traits tendus et son regard nerveux trahissaient une agitation inhabituelle.

  "Alexei Petrovitch," répondit Kovalev en lui serrant la main. "Que se passe-t-il?"

  "Des nouvelles inquiétantes du front. Les désertions se multiplient, et les rumeurs de mutinerie circulent même parmi la garde de la ville." L'officier jeta un regard par-dessus son épaule pour s'assurer qu'ils étaient seuls. "Le général Khabalov parle de réprimer les manifestations par la force."

  "Ce serait de la folie," murmura Kovalev. "Le peuple est affamé, pas séditieux. Une répression ne ferait qu'enflammer la situation."

  "Le tsar est toujours au front, loin de la réalité de Petrograd." L'officier avait utilisé le nouveau nom de la ville, rebaptisée au début de la guerre pour effacer sa consonance allemande. "L'impératrice refuse d'entendre parler de concessions."

  Kovalev passa une main fatiguée sur son visage. "Et les enfants? Que va-t-il advenir d'eux si la situation dégénère?"

  "C'est justement pour cela que je viens te voir." L'officier baissa encore la voix. "Certains d'entre nous pensons qu'il serait prudent de préparer... une solution alternative. Une voie de sortie pour la famille, au cas où."

  "Tu parles de trahison, Alexei," dit Kovalev, visiblement troublé.

  "Je parle de sauver des vies innocentes. Les enfants n'ont pas choisi leur naissance." L'officier sortit un petit paquet de sa poche et le tendit à Kovalev. "Garde ceci. Si les choses tournent mal, tu pourrais être leur seule chance."

  Kovalev hésita, puis prit le paquet et le glissa dans la même poche que son carnet. "Que contient-il?"

  "Des documents. Des sauf-conduits. Et..." L'officier hésita. "Une part du trésor impérial, suffisamment petite pour être transportée, suffisamment précieuse pour assurer l'avenir des enfants s'ils devaient fuir."

  Un silence lourd s'installa entre les deux hommes, chargé du poids des non-dits et des dangers implicites de leur conversation.

  "Le temps presse, Mikhail," reprit l'officier. "Les signes sont là pour qui sait les lire. Comme ton cher ciel étoilé." Il désigna la carte céleste encore étalée sur la table. "Les astres ne mentent pas, n'est-ce pas? Contrairement aux hommes."

  Au moment où Kovalev allait répondre, un cri retentit au loin, suivi d'une agitation dans les couloirs du palais. L'officier se raidit.

  "Je dois y aller. Souviens-toi, Mikhail. Si les choses s'aggravent, cherche le contact à l'ambassade danoise. Le mot de passe est 'Polaris'."

  L'officier disparut aussi vite qu'il était apparu, laissant Kovalev visiblement ébranlé. Le précepteur s'approcha à nouveau de la fenêtre. La neige tombait plus dru maintenant, et une obscurité précoce enveloppait la ville. Au loin, les colonnes de fumée s'étaient multipliées.

  Instinctivement, Enzo s'approcha aussi de la fenêtre, se pla?ant à c?té de Kovalev bien que ce dernier ne puisse le voir. Mais soudain, contre toute attente, le précepteur tourna la tête dans sa direction, ses yeux semblant fixer exactement l'endroit où se tenait Enzo.

  "Je vous sens," murmura Kovalev en fran?ais. "Le voyageur. Celui qui observe sans être vu."

  Enzo sentit son c?ur s'arrêter. Comme Marie Laurent à Lyon, comme l'homme mystérieux à la Nouvelle-Orléans, Kovalev semblait percevoir sa présence.

  "Si vous entendez mes paroles, sachez que les étoiles forment un chemin, pas une destination. La constellation guide vers la clé, et la clé ouvre la boucle." Kovalev parlait à voix si basse qu'Enzo devait se concentrer pour saisir ses mots. "Cherchez la septième étoile, celle qui se cache dans l'ombre des autres. Elle vous mènera à Alger, 1960."

  Alger, 1960. La prochaine destination. L'époque où son grand-père Jean servait comme parachutiste pendant la guerre d'Algérie. Le cercle se resserrait.

  "Ils viennent," poursuivit Kovalev, son regard s'intensifiant comme s'il pouvait réellement distinguer la forme d'Enzo. "Ils savent pour les observateurs. Ils tentent d'interférer avec le—"

  Sa phrase fut interrompue par l'ouverture brutale de la porte. Trois hommes entrèrent, vêtus d'uniformes sombres qu'Enzo ne reconnut pas. Ce n'étaient ni des gardes impériaux, ni des officiers réguliers de l'armée russe.

  "Professeur Kovalev," dit le plus agé d'entre eux avec un accent étrangement neutre, "nous devons vous parler d'urgence."

  L'expression de Kovalev passa de la surprise à une méfiance évidente. "Qui êtes-vous? Comment avez-vous accès au palais?"

  L'homme sourit, un sourire froid qui n'atteignait pas ses yeux. "Disons que nous sommes... des observateurs, comme vous."

  Ce mot — "observateurs" — frappa Enzo comme un coup physique. Le même terme utilisé dans la lettre de la Nouvelle-Orléans.

  Kovalev recula légèrement. "Je ne comprends pas ce que vous voulez dire."

  "Bien s?r que si." L'homme fit un signe à ses compagnons qui commencèrent à fouiller méthodiquement la bibliothèque. "Vous êtes comme nous. Un voyageur. Mais contrairement à nous, vous interférez avec les événements. Vous essayez de changer ce qui doit rester fixe."

  "Je ne sais pas de quoi vous parlez," insista Kovalev, mais sa main s'était instinctivement portée à la poche contenant son carnet et le mystérieux paquet.

  "La clé, Professeur. Nous savons que vous l'avez. L'une des sept." L'homme s'approcha, mena?ant. "Elle ne vous appartient pas. Elle fait partie d'un système qui dépasse votre compréhension."

  Un des hommes s'exclama soudain, tenant à la main la carte céleste qu'Anastasia et Kovalev avaient étudiée. "Regardez! Les marquages sont là."

  Le leader examina la carte, puis reporta son attention sur Kovalev. "Vous voyez? Nous savons tout. Donnez-nous la clé, et peut-être pourrez-vous continuer votre petite vie de précepteur jusqu'à ce que les bolcheviks vous passent par les armes. Ce qui ne saurait tarder."

  Kovalev resta silencieux, évaluant manifestement ses options. Pendant ce temps, le troisième homme s'était approché d'une bibliothèque et examinait méthodiquement les volumes, comme s'il cherchait quelque chose de spécifique.

  "Qui êtes-vous vraiment?" demanda finalement Kovalev. "Pas des Russes, malgré vos uniformes. Pas des Allemands non plus."

  Le leader sourit à nouveau. "Disons que nous venons d'un peu plus loin que vous ne pouvez l'imaginer. D'un temps où les erreurs du passé ont été... cataloguées. Et notre travail est de nous assurer qu'elles restent intactes."

  "Des erreurs?" La voix de Kovalev trahissait son incompréhension. "Vous voulez préserver des erreurs?"

  "Ce que vous appelez erreurs sont des points de convergence nécessaires. Des événements qui doivent se produire pour que l'histoire suive son cours." L'homme fit un pas de plus vers lui. "Dernière chance, Professeur. La clé."

  Kovalev jeta un regard vers la fenêtre, puis, dans un mouvement si rapide qu'il surprit tout le monde, il renversa une lampe à huile sur la table. Le feu se propagea instantanément aux papiers et à la carte céleste. Dans la confusion qui s'ensuivit, il se précipita vers la porte.

  "Rattrapez-le!" hurla le leader, tandis que ses hommes éteignaient précipitamment les flammes avant qu'elles ne se propagent à toute la bibliothèque.

  Enzo, m? par un instinct qu'il ne s'expliquait pas, suivit Kovalev qui courait dans les longs corridors du palais. Le précepteur semblait conna?tre parfaitement les lieux, empruntant des passages dérobés et des escaliers de service. Finalement, il atteignit ce qui semblait être les quartiers des domestiques, déserts à cette heure.

  S'assurant qu'il n'était pas suivi, Kovalev s'enferma dans une petite pièce qui servait visiblement de remise. Haletant, il sortit le carnet et le mystérieux paquet de sa poche.

  Avec des gestes fébriles, il arracha une page du carnet, y griffonna quelques mots, puis la glissa avec la petite clé dorée dans une enveloppe qu'il cacheta. Sur l'enveloppe, il inscrivit un nom que Enzo ne put déchiffrer complètement, mais qui semblait se terminer par "...Kader".

  Kader. Le même nom que celui du professeur qui apparaissait sur la photo avec son grand-père Jean en Algérie. Une connexion de plus qui se révélait.

  Des bruits de pas et de voix approchaient. Kovalev glissa l'enveloppe entre deux lattes du plancher, puis se recomposa rapidement. Lorsque la porte s'ouvrit brutalement, il faisait face aux intrus, une dignité calme ayant remplacé sa panique précédente.

  "Une course inutile, Professeur," dit le leader, légèrement essoufflé. "Vous n'avez nulle part où aller."

  "Au contraire," répondit Kovalev avec une assurance surprenante. "J'ai déjà accompli ce que je devais faire. La clé est en sécurité, hors de votre portée."

  Le visage du leader se durcit. "Où est-elle?"

  "Partie. Transmise à travers la constellation." Kovalev eut un sourire énigmatique. "Vous pouvez me tuer, mais vous ne pourrez pas empêcher ce qui doit arriver. Le cercle se fermera malgré vous."

  Le cercle. La même phrase que l'homme mystérieux à la Nouvelle-Orléans, la même obsession que Jean dans ses derniers jours.

  "Prenez-le," ordonna le leader à ses hommes. "Nous avons des méthodes pour faire parler les plus obstinés."

  Alors que les deux hommes s'avan?aient vers Kovalev, quelque chose d'étrange se produisit. L'air sembla se charger d'électricité statique, et une vibration subtile parcourut la pièce. Enzo la ressentit jusque dans ses os, une sensation dérangeante, comme si la réalité elle-même vacillait.

  "Une convergence!" s'exclama un des hommes, soudain alarmé. "Il y a quelqu'un d'autre ici!"

  Les trois intrus regardèrent autour d'eux, leurs yeux balayant la pièce comme s'ils cherchaient une présence invisible. Avec horreur, Enzo réalisa qu'ils le cherchaient lui.

  "Le voyageur," murmura le leader. "Il est là."

  Comment pouvaient-ils sentir sa présence? Qui étaient ces hommes qui semblaient comprendre le mécanisme des voyages temporels, qui parlaient de "convergences" et "d'observateurs" comme de concepts familiers?

  Kovalev profita de leur distraction pour tenter une nouvelle fuite, mais le plus jeune des intrus réagit avec une vitesse surhumaine, le plaquant violemment contre le mur.

  "C'est fini, Professeur," dit le leader en s'approchant. De sa poche, il sortit un petit objet métallique qu'Enzo ne put identifier. "Vous allez nous dire où est la clé, et ensuite, vous allez oublier cette conversation."

  La scène commen?ait à s'estomper autour d'Enzo, signalant la fin imminente de son voyage. Mais avant que tout ne disparaisse, il vit le leader se tourner dans sa direction exacte, comme s'il pouvait le voir parfaitement.

  "Quant à vous, observateur," dit-il d'une voix qui semblait résonner à travers le temps lui-même, "nous nous reverrons. Le cercle ne peut pas se refermer. Les Gardiens l'empêcheront."

  La pièce, le palais, Saint-Pétersbourg tout entière s'effacèrent dans un tourbillon de sensations, et Enzo se retrouva projeté violemment dans son appartement, tombant de son fauteuil sur le sol dur.

  Le souffle coupé, il resta allongé plusieurs minutes, tentant de reprendre ses esprits. Ce voyage avait été différent. Plus intense, plus dangereux aussi. Et ces hommes mystérieux, ces "Gardiens" comme s'était nommé leur leader, semblaient non seulement conscients de l'existence des voyages temporels, mais activement engagés dans une sorte de... quoi? De police du temps?

  Lorsqu'il se redressa enfin, Enzo remarqua que son téléphone était toujours en mode enregistrement. Il l'arrêta et visionna immédiatement la vidéo, espérant y trouver des indices.

  L'image montrait simplement son corps immobile dans le fauteuil, dans une sorte de transe profonde. Mais à la douzième minute, quelque chose d'étrange se produisit. Une ombre indistincte sembla se former derrière lui, comme une silhouette floue qui se penchait au-dessus de son épaule. Et au même moment, sa propre voix, altérée et distante, murmura des mots qu'il ne se souvenait pas avoir prononcés:

  "Alger. La septième étoile. Le professeur Kader a la clé. Le cercle doit se fermer avant que les Gardiens ne trouvent les sept. La constellation complète ouvre la porte."

  Un frisson glacé parcourut l'échine d'Enzo. Ce n'était pas sa voix normale, mais elle lui était familière. C'était la voix de Kovalev, parlant à travers lui.

  Plus troublant encore, à la fin de l'enregistrement, alors que son corps reprenait conscience, on pouvait clairement voir sur son visage une expression qui n'était pas la sienne – un mélange de détermination et de peur qui transformait ses traits en ceux d'un autre homme.

  Enzo se précipita dans la salle de bain et s'examina dans le miroir. Son reflet était normal, mais pendant un instant, il eut l'impression de voir une ombre derrière lui, comme si quelqu'un l'observait par-dessus son épaule.

  "Qu'est-ce qui m'arrive?" murmura-t-il.

  Son téléphone sonna, le faisant sursauter violemment. C'était Sophie.

  "Enzo? Tout va bien?" Sa voix trahissait son inquiétude. "Tu es rentré chez toi?"

  "Oui," répondit-il, s'effor?ant de para?tre normal. "Je suis... chez moi."

  "Tu as une voix étrange. Tu es s?r que ?a va?"

  Comment lui expliquer? Comment lui faire comprendre qu'il venait de vivre les derniers jours du régime tsariste, qu'il avait été témoin d'une conspiration impliquant le trésor des Romanov, et qu'il avait apparemment été repéré par des "Gardiens du temps"?

  "Je suis juste fatigué," dit-il finalement. "Je vais me coucher t?t ce soir."

  "Bonne idée." Elle hésita. "écoute, j'ai trouvé quelque chose d'étrange dans les papiers de ton grand-père aujourd'hui, après ton départ. Une référence à un certain Professeur Mikhail Kovalev et à un 'projet Constellation'. ?a te dit quelque chose?"

  Le c?ur d'Enzo manqua un battement. "Non," mentit-il. "Mais ?a m'intéresse. Tu peux m'en dire plus?"

  "Pas grand-chose pour l'instant. Juste une mention dans une correspondance avec un historien algérien nommé Kader. Apparemment, ton grand-père a participé à des fouilles avec lui dans les années 60, près d'Alger."

  Alger, 1960. Exactement l'endroit et l'époque que Kovalev avait mentionnés comme prochaine destination. Les connexions se multipliaient, dessinant un motif de plus en plus complexe à travers le temps.

  "Sophie," dit-il lentement, "tu crois au destin? à l'idée que certains événements sont... prédéterminés?"

  "C'est une question bien philosophique pour quelqu'un d'épuisé," remarqua-t-elle. "Mais... je crois que l'histoire a ses propres motifs, ses propres logiques qui nous échappent parfois. Pourquoi cette question?"

  "Simple curiosité." Il regarda la lettre de Saint-Pétersbourg, toujours posée sur la table à c?té du fauteuil. "Je te verrai demain?"

  "Bien s?r. Repose-toi bien, Enzo."

  Après avoir raccroché, Enzo retourna la lettre et y découvrit, sans surprise mais avec un frisson d'anticipation, une annotation qui n'y était pas avant son voyage:

  "La septième étoile est à Alger. 1960. Cherchez le colonel Vernet et le professeur Kader. Trois clés sont déjà réunies. Quatre restent à trouver avant que le cercle ne puisse se refermer. Les Gardiens veillent - M.K."

  M.K. Mikhail Kovalev. Le précepteur des Romanov avait non seulement per?u sa présence, mais lui avait laissé un message direct, le guidant vers la prochaine étape de son parcours temporel.

  Enzo s'allongea sur son lit, l'esprit en ébullition. Les révélations s'accumulaient, formant un tableau dont il commen?ait à peine à distinguer les contours. Sept clés. Un cercle à refermer. Des "Gardiens" qui tentaient de l'empêcher. Et au centre de tout cela, la constellation de la Grande Ourse, servant de fil conducteur à travers les époques.

  Mais le plus troublant était peut-être cette présence qu'il avait sentie derrière lui, cette voix qui avait parlé à travers lui. Comme si, en voyageant dans le temps, il ouvrait non seulement une porte vers le passé, mais aussi vers... autre chose. Comme si quelque chose – ou quelqu'un – pouvait voyager dans l'autre sens.

  Le sommeil le fuyait, remplacé par une myriade de questions sans réponses. Qui étaient les Gardiens? Quel était ce trésor que Kovalev avait tenté de protéger? Et quel r?le son grand-père Jean avait-il joué dans toute cette histoire?

  Une chose était certaine: la prochaine lettre le conduirait en Algérie, en 1960, au moment même où son grand-père y servait comme parachutiste. Et pour la première fois, son voyage personnel à travers le temps croiserait directement l'histoire de sa propre famille.

  Le cercle se resserrait, comme l'avaient annoncé tant de voix à travers les époques. Mais vers quoi exactement ce cercle les conduisait-il tous, Enzo ne pouvait encore que le pressentir.

  Et cette intuition, aussi vague soit-elle, suffisait à le remplir à la fois d'excitation et d'une peur viscérale.

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