Onze ans plus t?t, dans les montagnes jadis immaculées au nord du pays du Soleil.
Tsukinoko, du haut de ses cinq ans, occupait ses journées en aidant les enfants des fermiers voisins à guider les troupeaux en pature.
Débordante d’énergie, sa mère lui faisait confiance, seule dans les montagnes pendant des journées entières lorsque c’était son tour de guider le troupeau.
Comme des amis pour Tsukinoko, même s'ils étaient plus agés, les enfants jouaient souvent ensemble. Tsukinoko adorait les animaux de la ferme, qui le lui rendaient bien. Des chiens, chats, canards, biquettes, poules, chevaux, cochons et d'autres, même un petit veau de quelques jours, qui devait la confondre pour un de ses confrères vu leur complicité.
Mais depuis quelques jours, les fermiers avaient demandé à leurs enfants de surveiller les troupeaux ensemble car certaines des vaches se faisaient attaquer par des bêtes sauvages la nuit, et ils s'inquiétaient de laisser les enfants seuls dans la montagne.
Un jour où Tsukinoko rentrait le troupeau avec les deux fils, au coucher du soleil, le petit veau avait réussi à s'échapper juste avant que le gar?on ne fermat la cl?ture. Tsukinoko s'était alors lancée à sa poursuite, gravissant la pente sans s’essouffler. Malgré leurs appels, elle avait persévéré, mais avait fini par se perdre dans la pénombre, alors que les gar?ons étaient pourtant sur ses talons.
Dans la nuit noire, des cris terrifiants retentirent. Le petit veau hurlait d'agonie, et son appel à l’aide résonna dans le creux des vallées. Tsukinoko se précipita en sa direction, morte d'inquiétude. Mais en arrivant au bout du plateau, proche d’une profonde fissure dans la montagne, elle resta paralysée par la peur, incapable de crier à l'aide.
N’arrivant qu'à pleurer silencieusement.
Le petit veau se faisait dévorer vivant par une sorte de bête sauvage, dont le pelage gris brillait sous la faible lumière de la lune, laissant deviner ses mouvements alors qu’il s’acharnait sur le pauvre animal.
Les crocs déchirant et fouillant la chair retournaient l’estomac de Tsukinoko. Le petit veau continuait à hurler, avant de croiser le regard de Tsukinoko. A c?té de lui, les deux gar?ons baignaient dans leur sang. Leurs corps sans vie gisaient à terre, leurs entrailles dispersées dans un amas visqueux.
Les larmes inondaient ses joues mais Tsukinoko ne faisait pas un bruit, observant le monstre se délecter de la chair tiède. Le museau plein de sang, il leva la tête en sentant l’odeur florale de Tsukinoko, portée par la brise.
Ses yeux brillaient d’une lueur mena?ante, alors qu’il retroussa les babines en grognant sur elle. Tsukinoko voulu crier de toutes ses forces pour le faire fuir.
Le sang afflua dans tous son corps à une vitesse folle, avant de percer ses tempes, de pousser contre son crane, lui donnant l’impression que ses yeux allaient exploser. La nuit noire devint rouge, aussi rouge que le sang à ses pieds, et l’obscurité ne la dérangeait plus.
Comme si elle voyait clairement derrière ce filtre écarlate. Au dernier moment, son corps s’anima enfin, et elle sauta sur le c?té pour éviter la bête, dont les crocs acérés claquèrent dans le vide.
Aussi rapide qu’un battement de cils, elle se jeta sur l’animal pour le cogner de toutes ses forces, hurlant sa haine jusqu’aux cieux. Une aura d’un ton violacée se forma autour d'elle, sans qu’elle ne s’en rende compte.
Finalement, la bête l'envoya valser d'un coup de patte et elle roula sur le c?té. Pétrifiée par la douleur, blessée pour la première fois de sa vie, Tsukinoko tenait son épaule en lambeaux. Pleine de courage, ses réflexes s'étaient améliorés, et elle se jeta à nouveau sur la bête.
Mais cette fois-ci, cette dernière n'attaquait plus et se contentait d'esquiver ses coups avec entrain, comme s’il s’agissait d’un jeu. Tsukinoko eut la tête qui tourna à force de lancer ses attaques dans le vide, se fatiguant plus rapidement que d’ordinaire. Autour d’elle, l'agonie du veau avait laissé place à un silence funèbre.
Désormais, l'animal sauvage apparaissait clairement devant ses yeux. Un fauve au pelage blanc, parsemé de taches grises.
Une panthère des neiges.
Mais Tsukinoko s’arrêta brusquement, croyant rêver lorsqu'elle l'entendit parler. La panthère se léchait tranquillement les babines et le museau.
- Juste pour ton courage, je ne te mangerai pas, dit-elle d'un ton amusé. Par contre lui, je le garde, souffle-t-elle en regardant le veau.
Tsukinoko tomba à genoux sous la douleur. La panthère s’approcha d’elle mais elle hurla en craignant pour sa vie.
- Oh la ferme, j'ai dit que je te ferais rien, grogna-t-elle.
Tsukinoko se t?t aussit?t puis se mit à bégayer sous l'incompréhension. Peut-être f?t-ce un cauchemar, après que sa mère lui avait répété tant de fois d’être prudente la nuit.
- Mais... Pourquoi ?! C'est toi qui manges les animaux des fermiers ?!
- S?rement, dit-elle d'un air nonchalant. C'est vrai que ceux derrière les cl?tures sont plus gars.
- Mais... C'étaient mes amis, sanglota-t-elle les larmes aux yeux.
- Je dois bien manger.
- Tu les as tués ! Ils t'avaient rien fait...
Tsukinoko rentra dans un chagrin immense, qui se refléta sur l’aura autour d’elle de nouveau là qui l’enveloppait d’une atmosphère étrange. Elle se rua sur la panthère qui la renvoya encore d'un coup de patte, mais elle persévéra et grimpa sur son dos en lui tirant les oreilles. S'en suit alors un rodéo mais Tsukinoko prit le dessus en étant hors d'atteinte de ses coups.
- Si tu veux que j'arrête alors promet de plus manger les animaux !
La panthère feula avant de glisser sur le plateau pentu. Elle parvint à ralentir sa chute avec ses griffes plantées dans le sol, mais Tsukinoko roula jusqu’au précipice.
Cette dernière rouvrit les yeux, pendue au-dessus du vide. La panthère l’avait attrapée de justesse par sa tunique, le tissu entre ses crocs, avant de la remonter sur la terre ferme. La pauvre petite se remit à pleurer après la peur bleue, d’autant plus que ses yeux lui faisaient si mal, comme si l’on martelait son crane avec un pieu pour les faire sortir de là.
- Tu t'es fait mal ? ricana la panthère. Ou c'est tes yeux qui te font ?a ?
- Hein ? renifle-t-elle perdue. Pourquoi tu m'as sauvée ?
- J'ai rien contre toi, grogna-t-elle. Enfin si, t'as failli me déchirer les oreilles, mais je comprends que tu sois en colère pour tes amis.
La panthère se releva pour partir avec son trophée sanglant avant que les humains à sa poursuite n’arrivent, laissant derrière Tsukinoko gémir de douleur alors que les morceaux de peau arrachés de son épaule mettaient à vif la chair pleine de poussière.
- J'aurais d? te laisser tomber, grogna-t-elle en tournant les talons.
Tsukinoko rouvrit les yeux pour saisir de justesse sa longue queue touffue et l'empêcher de partir, avant que des éclats de voix et des aboiements ne retentissent en bas. La voix de Nukade, sa mère, per?a les collines, et Tsukinoko resserra sa prise. Tsukinoko la fixa du regard, acceptant de la laisser s'enfuir à une condition, pour la remercier de l'avoir sauvée.
- Laisse-moi partir !
- Tu fais plus jamais mal à mes amis ! répéta-t-elle en colère.
Alors que les voix et les lumières se rapprochaient, la panthère céda devant sa détermination. Elle bondit par-dessus la crevasse sans son butin, avant de dispara?tre dans la nuit et Tsukinoko s'évanouit, à bout de forces.
Sa mère la retrouva enfin et la prit dans ses bras en la serrant de toutes ses forces. Elle déchira sa propre jupe pour panser son épaule, alors que derrière elles, la mère des enfants n’arriva pas à retenir un cri d’horreur face à ses fils éventrés.
Ses hurlements de douleur figèrent la montagne, et Nukade serra fort Tsukinoko contre elle, impuissante. Le silence se fit enfin mais Nukade releva la tête en entendant Orie balbutier des adieux.
Un couteau en main, la pauvre veuve dont tous les espoirs s’étaient envolés en un instant, incapable de surmonter une telle épreuve, se poignarda en plein c?ur d’un coup franc. Nukade cacha Tsukinoko dans ses bras, effrayée.
Elle s’effondra entre ses enfants, caressa doucement le visage du cadet, puis serra la main de l’a?né dans son dernier souffle, avant de laisser place à un silence rempli de tristesse qui endeuilla la montagne.
Tout se passa si vite après avoir cru perdre sa propre fille, que Nukade restait figée, tremblante d’effroi. Une main se posa sur son épaule et elle reprit enfin ses esprits, dans une inspiration si intense que sa peau en frissonna.
Tsukinoko reprit connaissance et observa la silhouette de Jinmuya debout derrière, imperturbable malgré les évènements. Ses longs et épais cheveux noirs tombaient sur ses épaules, habillé d’une ample tunique bordeaux.
- Je m’occupe d’eux. Cette femme n’aurait pas pu survivre seule ici sans enfants pour l’aider. Tu iras prendre soin des animaux avec Tsukinoko chaque jour, nous pourrons en vendre et nous sustenter des autres.
Nukade acquies?a sans broncher. Jinmuya caressa la tête de Tsukinoko puis dispar?t quelques minutes en direction de la crevasse. Nukade tenait Tsukinoko en sanglotant, face à lui, pour lui en cacher le spectacle. Il revint enfin, les corps débarrassés, et prit sa fille dans ses bras.
- Ils sont où les gar?ons ? sanglota-t-elle à son père. Maman doit leur faire des bisous magiques ! s’affola-t-elle.
- Ils sont morts.
Ces mots, dont Tsukinoko ne percevait pas encore tous leurs sens, la percutèrent et elle se remit à pleurer, le visage plaqué contre la tunique de son père.
- Ne pleure pas, c’est inutile.
Elle releva la tête, n’osant pas continuer mais les émotions la submergeaient, et elle finit par enfouir son visage dans son cou pour se cacher. Nukade voulut la réconforter mais il l’en empêcha et se mit en route pour rentrer.
- La faiblesse me dégo?te. Elle doit apprendre seule à surmonter ces émotions futiles et gênantes.
- Mais enfin... Ne soit pas si dur ! se désola-t-elle.
- J’suis pas faible, renifla Tsukinoko. Et j’pleure pas moi !
- Tu as le droit de pleurer et d’être triste ma fille, dit doucement Nukade.
Tsukinoko hésita mais le modèle imposé par son père e?t raison d’elle, devant sa stature si sérieuse et éloquente. Elle frotta son visage dans sa tunique pour essuyer ses larmes et son nez, puis leva la tête vers lui en se frottant frénétiquement les yeux.
- Je peux avoir un bisou magique Papa ? Je veux pas mourir...
- Pourquoi ? Tu as mal à l’épaule ?
- Evidemment, la bête lui a arraché la peau ! s’aga?a Nukade.
- J’ai mal aux yeux, dit-elle d’une petite voix.
Tsukinoko ouvra les yeux, larmoyants. Jinmuya retint son étonnement. Nukade se couvrit la bouche en tremblant, les larmes aux yeux.
Inquiète, la réaction de ses parents ne rassura pas Tsukinoko. Jinmuya se reprit et lui répondit en tirant vers le bas une de ses paupières, du bout de son pouce, pour analyser longuement ses yeux.
- Tu ne vas pas mourir, Hōseki, dit-il calmement. Tu as réveillé tes Ne-
- Non ! le coupa Nukade terrifiée.
- Ils sont là, chuchota-t-il sèchement, que tu le veuilles ou non.
- Qui est là ? renifla Tsukinoko.
- Tu détiens un grand pouvoir dans tes yeux désormais, dit-il doucement.
Il enfouit sa petite tête contre lui pendant que Nukade fixait le sol avec effroi.
- Pourquoi... ? trembla-t-elle au bout d'un moment. Elle n'a que cinq ans. Pourquoi a-t-il fallu qu'elle en ait aussi, se désola-t-elle. C'est un cauchemar... Cette pauvre famille... Si tu étais allé avec elle aujourd’hui, comme elle t’avait demandé, rien de tout cela ne serait arrivé !
- Exactement, rien de tout cela ne serait arrivé, répéta-t-il d’un air mena?ant. Cette bête sauvage a effectué tout le travail toute seule, je n’aurais pas eu à intervenir, finalement. Cela m’aura fait gagner du temps.
Nukade f?t horrifiée en l'entendant. Tsukinoko pensa devoir avouer ses torts après avoir fait une bêtise, ne comprenant pas grand-chose à leurs sous-entendus.
- Tu as su te défendre, répondit-il fièrement en la calinant. La bête a fui, tu es bien plus forte qu’elle.
Traumatisée, Tsukinoko agrippait fermement son père. Jinmuya la regarda longuement dans les yeux alors que Nukade fixait le sol sans rien dire, se concentrant pour aligner ses pas sans flancher. Tsukinoko ne s?t pas quoi penser. Elle continuait à se frotter les yeux de fatigue et d'irritation après cet incident, mais Jinmuya attrapa ses petites mains. Sa voix grave et sérieuse la prit au corps.
- Cesse de te frotter les yeux ainsi.
- Bobo... sanglota-t-elle d'épuisement en s'affalant sur lui.
- Je sais, Hōseki. Je vais te soigner dès que nous serons rentrés.
- C'est quoi dans mes yeux ? se redressa-t-elle. Je vois bizarre.
- Ceci.
Jinmuya réveilla à son tour ses pupilles qui arborèrent des Negin, per?ant le regard de sa fille. Tsukinoko avait déjà observé Jinmuya avec ses Negin lorsqu'il travaillait ou s'entra?nait. Le clan Karumin détenait ce pouvoir unique et redoutable.
Finalement, Tsukinoko en avait hérité à son tour, si fière d'être comme son modèle, ignorant tout des malédictions qui la suivraient le reste de son existence.
Elle se mit à gigoter dans ses bras sous l'excitation, se vantant d’être aussi forte que lui. Elle rigola de plus belle et ses yeux se rendormirent, remise de ses émotions.
Arrivés sur le porche de leur demeure, Nukade tendit les bras pour récupérer sa fille et la coucher, comme tous les soirs. Cependant, Jinmuya l’ignora ouvertement et s’avan?a dans le couloir en gardant son trésor avec lui.
Sa simple prestance et son pas décidé firent comprendre à Nukade que leur quotidien ne serait désormais plus jamais le même.
Alors qu’il l'emmenait jusqu'au fond de la maison sans rien dire, l’appréhension la calma, malgré son innocence qui faisait de chaque journée une nouvelle aventure magique. Jamais, auparavant, elle n’avait pu accéder à la cave. Pourtant, Jinmuya s’y dirigeait avec elle. La porte scellée s’ouvrit grace au signe de la chèvre signé d’une main.
Un long escalier en colima?on descendait, éclairé par des lampes à huile. En bas, une autre porte scellée menait enfin à la cave. Jinmuya déposa Tsukinoko sur son lit, directement sur la gauche dans un coin.
L’endroit, aussi grand que la maison, était aménagé d’un coin d'eau sur la droite avec une baignoire en cèdre, un lavabo et une étagère pleine de matériel médical usagé. Sur la gauche, après le lit, une armurerie avec l’armure rouge de samoura?.
Le reste de la pièce était rempli de bibliothèques chargées de livres et de parchemins plaquées contre les murs, de tables pleines de bazar, de lampions, bougeoirs et de notes.
Au fond, derrière un rideau entrouvert, un couloir terreux se fondait dans l’obscurité, sans laisser en voir le bout. Juste à c?té, une immense porte en bois curieusement gravée et recouverte de parchemins scellés semblait contenir de terribles secrets.
L’énergie qui s’en dégageait terrifiait Tsukinoko, qui se recroquevilla au fond de la baignoire remplie d’eau tiède et pleine de mousse.
Jinmuya lui rin?a les cheveux, et elle rouvrit les yeux, le regard bloqué sur cette porte. Il devina les ressentis de sa fille et se rassit sur ses talons, avant de s’exclamer en attrapant une serviette propre sur l’étagère derrière lui.
- Il y a derrière cette porte, la bête sauvage que j’ai pourchassée pendant des années. La raison pour laquelle je n’ai pu te voir grandir. Mais ? combien cela était nécessaire, Hōseki, dit-il d’un air déterminé. Cette bête n’a rien à voir avec celle que tu as affrontée cette nuit. Il te faudra devenir bien plus forte pour t’y opposer. En attendant, elle me sert pour mes recherches. Ce Démon à cinq yeux, enfermé derrière cette porte, nous servira un jour, répondit-il en l’enveloppant tendrement dans la serviette. N’aie crainte, il ne peut sortir, même si je suis certain qu’il nous observe à chaque instant.
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Tsukinoko ne s?t que penser, que répondre, que ressentir, si ce n’était l’immensité maléfique qui se cachait derrière cette porte.
Sans comprendre l’importance des paroles de Jinmuya, elle laissa la fatigue s’emparer d’elle et se blottit dans la serviette, qui rougit de sang sur son épaule. Il recousu sa plaie, ausculta ses yeux, puis lui enfila un de ses pulls comme chemise de nuit et parti s’asseoir devant un bureau pour graver les évènements de cette nuit sur le papier.
Tsukinoko grimpa sur ses genoux et observa curieusement les mots se former sur le papier sous sa plume, sans pouvoir les déchiffrer, puis attrapa à son tour un crayon. Jinmuya lui donna une feuille pour qu’elle puisse dessiner, calée entre lui et le bureau. Elle lui montra fièrement ses dessins, plut?t réussis. Dans ses souvenirs, sa fille gribouillait à peine, ne sachant prononcer que quelques mots du haut de ses deux ans.
- Et depuis quand ? demanda-t-il curieusement alors qu’elle se vantait.
- Longtemps, t'es jamais là, bouda-t-elle. Je suis plus un bébé !
- Tu grandis trop vite, je n'ai pas le temps de le voir, dit-il doucement.
Il la regardait tendrement et essaya de lui chatouiller le ventre pour faire revenir son sourire, mais elle ne se laissa pas faire et s’enfuit dans la pièce en hurlant de rire. Il réussit à l'attraper et la coin?a contre lui en la noyant sous les papouilles.
Contaminés par le rire de l’autre, ils s'amusèrent et se chamaillèrent tous les deux. Tsukinoko sauta dans son lit en gloussant avant de s’enfuir dans les escaliers comme une voleuse pour aller dire bonne nuit à sa mère. Il n'eut pas le temps de réagir qu'elle avait disparu, et s'assit alors sur le lit pour l'attendre, un air grave sur le visage tout à coup.
Tsukinoko entrouvrit doucement la porte de la chambre de sa mère et Nukade se redressa brusquement en sentant sa fille grimper sur son lit. Elle lui tendit les bras avec un air terriblement inquiet sur le visage. Tsukinoko couru s’y réfugier et se laissa bercer, puis essaya de rassurer sa mère qui ne pouvait plus cacher son chagrin.
- Tu dois pas être triste Maman, la panthère reviendra plus.
- Panthère ? s'étonna-t-elle.
- Ben... La bête c'est une panthère, chuchota-t-elle d'un air mystérieux. Mais elle a peur de moi et elle a promis qu'elle mange plus les animaux du tout, dit-elle fièrement. Mais c'est un secret.
- Je vois... Tu as été courageuse ma fille.
- Ah bon ? Alors demain je peux retourner voir les fermiers et-
Sa mère l'embrassa tendrement en la serrant fort contre elle, et Tsukinoko profita innocemment de son réconfort.
- Ma fille... souffla-t-elle inquiète. Je t’aime, fort fort fort. Et si on se faisait une promesse ?
- Une promesse ? s'étonna-t-elle.
- Oui. Nous allons nous promettre de ne jamais nous éloigner toutes les deux, quoi qu'il arrive nous resterons toujours ensemble. Maman fera tout pour te protéger, c'est promis. Un jour nous serons libres, juste toi et moi.
- Libres ? ?a veut dire quoi ? Et moi je t’aime Maman ! sourit-elle. Je veux que tu sois avec moi tout le temps, pour toujours ! Promis qu'on sera toujours toutes les deux, hein ? Je veux Maman qui me fasse des bisous pour toujours, gloussa-t-elle.
- Promis... Merci mon amour, murmura-t-elle les larmes aux yeux.
Nukade la tenait de toutes ses forces dans ses bras en sanglotant, malgré qu'elle essayat de se retenir. Tsukinoko grimpa sur elle en lui faisant mille baisers.
Dans la cuisine, morte de faim, Tsukinoko était à genoux sur le plan de travail pour atteindre les placards. Elle sentit tout à coup une présence derrière elle et ses yeux la lancèrent à nouveau. Elle se retourna brusquement en repoussant la main qui allait se poser sur son épaule.
Jinmuya la regarda avec de gros yeux, debout derrière elle, et elle s'étonna de l'avoir senti arriver pour une fois. Elle lui fit les yeux doux pour qu’il ne la gronde pas, avant que la lueur rougeatre ne disparaisse.
Il lui prépara un encas en vitesse avant de dormir mais plein de questions trottaient dans la tête de Tsukinoko après cette affreuse soirée. Assise à table alors que son père l’observait comme un sujet d’expérimentation en prenant de nombreuses notes.
- Eh Papa. Comment t'entends que Maman t'appelle et que t'es dans ton bureau en bas ? C'est loin ! s'écria-t-elle.
- Bonne question, s'amusa-t-il. Sa voix porte, disons.
- Ch'est vrai qu'elle crie fort Maman, s'étonna-t-elle la bouche pleine. Eh, comment t'ouvres les portes sans la poignée ?
- Ce sont des sceaux.
- C’est quoi ?a ? Et tu fais quoi dans ton bureau ? Pourquoi y a des armes ? Pour chasser ? Et tu lis beaucoup beaucoup de livres, hein ? Tu pourras me lire Papa ? se réjouit-elle. Avant de dodo ! Et je peux venir jouer avec toi dans ton bureau-
- Hōseki... soupira-t-il perplexe.
Sans oublier de raler, elle finit en silence son assiette puis il la recoucha dans son lit, sous la maison. Jinmuya resta une partie de la nuit assis sur le lit à méditer sur le réveil de ses pupilles avec un air déterminé.
Dans la nuit, Tsukinoko cauchemarda plusieurs fois sur les visions d'horreur du petit veau, des gar?ons, de la panthère, mais il f?t là pour la réconforter et la rendormir à chaque fois.
Dans la cuisine, la discussion houleuse de Nukade et Jinmuya portait dans toute la maison et avait fini par réveiller Tsukinoko, qui les épiait discrètement depuis le couloir.
Nukade cuisinait, tandis que Jinmuya était assis devant la table basse dont les couverts avaient été posés à c?té pour laisser place à ses armes qui avaient besoin d’être affutées.
Il se pressait pour astiquer et faire l’inventaire de quelques shurikens, kuna?s, fumigènes et autres explosifs, qui serviront dès le lendemain pour l’entra?nement de Tsukinoko. Concocté spécialement pour elle, la liste des taches et exercices était longue.
Il fallait commencer sans tarder les bases scolaires pour lui apprendre à lire, écrire et compter, les sciences et les bases théoriques et pratiques des entra?nements militaires, un peu de méditation. Nukade se tourna vers lui une énième fois, les sourcils arqués et les lèvres tremblantes, l’implorant de ne pas embarquer leur fille dans ses idéologies vengeresses.
Il s'arrêta subitement et tourna la tête vers la porte. Tsukinoko sursauta et se cacha derrière le mur, découverte. L’air de rien, elle sortit de sa cachette et fon?a voir sa mère, qui la salua gaiement. Elle se hissa sur la pointe des pieds pour tenter de voir le contenu des casseroles sur le feu, qui sentaient divinement bon. A voix basse, Nukade lui répétait qu’elle avait le choix, qu’elle n’était pas obligée de commencer à s’entra?ner avec son père.
Mais ce dernier apparu derrière elle, la main sur son épaule. Tsukinoko les observa avec de gros yeux, surprise, et se demanda s'il allait lui faire un calin mais aucun d'eux ne bougeait. Nukade fron?ait les sourcils, pétrifiée, alors que quelque chose brillait dans la main de Jinmuya glissée sur son cou, avant qu'il ne retourne dans le salon en dissimulant une de ses armes dans sa manche.
Lavée et en pyjama après avoir passé la journée à dessiner dans le jardin, Tsukinoko alla au salon pour d?ner mais elle trouva ses parents assis devant la table encore vide, comme s'ils l'attendaient. Leurs visages fermés et les Negin per?ants de son père la laissèrent muette.
- Tsukinoko, dorénavant tu resteras à la maison, annon?a-t-il fermement. Tu ne t'éloigneras pas de ces murs sans surveillance, c'est-à-dire avec moi, et seulement si cela est nécessaire. Dès demain, je vais t'entra?ner pour que tu apprennes à te défendre et à combattre. Tu ne dois plus sortir de la maison ou chercher à revoir les fermiers qui sont au fond de la vallée, est-ce compris ?
La jugeant assez grande pour comprendre désormais, Jinmuya lui expliqua alors toutes les guerres et la haine qui ravageaient le monde. Que dès leur plus jeune age, les enfants étaient envoyés au combat, et qu'elle devait donc apprendre à combattre elle aussi dès maintenant. Il lui expliqua brièvement l'origine des Negin et les spécialités du clan, qui en faisaient un clan ha? de tous car surpuissant et malmené. Elle l'écoutait attentivement, prenant peur de la situation et ne comprenant pas tout avec son élocution si formelle et directe.
- Tu n'es plus une enfant, tu n'as plus le temps pour t'amuser. C'est ainsi pour tout le monde, feint-il. Avec les menaces qui pèsent en dehors de la vallée, il faut que nous soyons en mesure de nous défendre-
- Bah fais alors ! Pourquoi moi je dois faire ?! s’aga?a-t-elle.
- Assez, gronda-t-il. Tu-
- Nan ! crisa-t-elle. La ferme !
- Tsukinoko ! s'offusqua Nukade.
- Pourquoi j'ai pas le droit de voir personne ?! Je veux pas ?a ! C'est pas juste ! Je veux sortir dehors !
- C'est fini, Tsukinoko, dit-il durement.
- Nan ! hurla-t-elle en tapant du pied.
En même temps que son pied frappa le sol, une aura violacée surgit étrangement autour d'elle en relachant une énergie dans l’air, qu'elle ne semblait pas remarquer dans sa crise. Nukade agrippa la manche de Jinmuya, stupéfaite.
- Je veux sortir dehors ! Je m'en fiche ! Papa avec ses yeux de merde il décide pas ! cria-t-elle en larmes.
- Tu n’as plus le choix, hésita-t-il fermement.
- Tais-toi, tais-toi, tais-toi !
Elle tapait du pied et son aura s'agitait brusquement à chaque mouvement en soufflant la pièce. Ses parents la dévisageaient devant son caprice. Les larmes débordèrent de ses yeux.
- Sale merde ! lui hurla-t-elle à la figure. J'ai rien fait de mal !
- Hōseki, dit-il doucement, il faut que tu comprennes que-
- Nan ! le repoussa-t-elle. T'as dit que je vais être forte comme toi, pas ?a ! Je veux plus du pouvoir ! T'as dit un mensonge, c'est pas à cause de la bête ! Je t’aime plus ! hurla-t-elle en le regardant dans les yeux.
Le coussin d’assise valsa à travers la pièce, la table basse se mit à trembler, Tsukinoko serra les poings avant de s’enfuir en courant dans sa chambre. Nukade reprit son souffle, plut?t rassurée du refus de Tsukinoko.
Jinmuya resta planté là, un air dépité sur le visage devant ce caprice qu’il ne s?t gérer. Ils devinèrent tous les deux que l’aura de Tsukinoko était en réalité son chakra, qui débordait sous ses émotions, semblables aux démonstrations de puissance d’Hashirama Anba, cousin de sa mère.
- Je t'avais dit qu'il ne fallait pas tout lui dire comme cela, car elle ne comprendrait pas, surenchérit Nukade. Tu lui parles comme à un soldat, alors qu’elle n’a jamais rien connu d’autre que ses poupées et les chats des fermiers. Mais je ne me mêle pas de ?a, comme tu m'as demandé, dit-elle avec insolence. Débrouille-toi, je vais m'occuper de ma fille en lui préparant à manger, comme une boniche.
- Ne me cherche pas, Nukade, mena?a-t-il les sourcils froncés.
- Tu souhaites t'occuper d'elle tous les jours maintenant, alors il va te falloir apprendre à gérer ses caprices. Elle n'a que six ans, c'est encore une enfant qui s'amuse en dessinant. Elle est encore traumatisée après la nuit dernière, et vu la crise qu’elle vient de nous faire, tu vas en voir de toutes les couleurs. Laisse-là être encore une enfant quelques années.
Sans attendre de réponse, Nukade parti s'enfermer dans la cuisine, en claquant la cloison si fort que le cadran chancela.
Jinmuya toqua à la porte de la chambre de Tsukinoko quelques minutes plus tard, puis passa lentement la tête à travers.
Une pluie de peluches couina en rebondissant sur sa tête, lancées à toute vitesse. Il rouvrit les yeux après l'assaut et explora la pièce plongée dans l’obscurité. Suspectant que Tsukinoko était cachée sous sa couette, il s’assit sur le futon mais une petite voix vociféra de l'autre c?té de la chambre et il répliqua.
- Arrête tes caprices, dit-il sèchement. Je croyais que tu n'étais plus un bébé ?
Son père lui avait cloué le bec. Son visage se fron?ait et ses yeux se remplissaient de larmes à nouveau, frustrée. Depuis son retour il y a dix jours, après avoir été absent de longues années, Jinmuya ne s'occupait de sa fille que pour jouer ou s'amuser avec elle. Son manque d'expérience le rendait maladroit car il apprenait encore à la conna?tre. Les bras croisés, il attendit assis sur le futon qu'elle se calme d'elle-même. Mais elle lui envoya une énième peluche en pleine face, qu’il esquiva sans broncher.
- écoute, Hōseki. Je sais que cela te fait peur et que tu ne comprends pas tout, mais c’est ainsi. Au fil du temps, cela deviendra supportable, et-
Encore une peluche. Il soupira et l’invita à le rejoindre. Il reprit du début ses explications. En simplifiant, lui furent alors expliquées les guerres, la peur des Karumin et pourquoi sa famille vivait cachée ici, embellissant la réalité.
Jinmuya lui conta sa propre enfance face à la guerre, la mort de ses proches, un par un. Ses paroles et ses raisonnements chamboulèrent Tsukinoko, embrouillant son cerveau de dures vérités, estomaquée.
- Mais... Pourquoi y a la guerre ? demanda-t-elle tout à coup.
- Parce qu'il faut inévitablement se battre pour avoir la paix, et protéger ceux que l'on aime. C'est la seule raison valable, les autres sont juste par pure ranc?ur, orgueil, luxure et bêtise. C'est pour te protéger que je souhaite que tu apprennes à te défendre, affirma-t-il d’une voix puissante. Si jamais un jour je ne suis plus là, tu-
- Hein ?! s'horrifia-t-elle en grimpant sur ses genoux. Pourquoi Papa sera plus là ?
Les petites mains de Tsukinoko tripotaient d’angoisse son visage, et il la rassit doucement contre lui. Touché par sa réaction, il se lan?a d'une voix déterminée et sage.
- Le futur est incertain, Hōseki. Pour cela, tu dois apprendre à te défendre seule désormais.
Ses yeux violets se remplirent de larmes à nouveau, les lèvres pincées. Il se reprit aussit?t, cherchant ses mots, maladroit devant ses réactions qui emplissaient son c?ur d’amour.
- Je te protégerais quoi qu'il arrive. Rien ni personne ne passe avant toi. Papa t'aime, Hōseki, déclara-t-il embarrassé. Même quand tu le traites de... sale merde.
Tsukinoko fit la moue puis baissa la tête pour cacher son sourire niais. Rassurée mais encore vexée qu'il lui ait menti, elle décroisa les bras le regard hautain, puis répondit avec détachement de sa petite voix.
- D’accord, Père.
- Père ? s’en offusqua-t-il presque. Et Papa ? Tu ne l’aimes plus ?
- Papa il dit pas de mensonges, dit-elle en le regardant de travers.
Tsukinoko hésita un instant devant son air triste, puis cogita quelques secondes, ce qui le fit se questionner, puis son sourire revint enfin.
- Je veux bien t'aimer aussi fort qu'avant. Tout' fa?on je t'aime déjà plus que l'infini, sourit-elle avec ses grands yeux. Papa c'est le plus' fort et c'est moi que je l'aime le plus ! Que tout l’Univers ! cria-t-elle de joie.
Il ne dit rien mais ne p?t davantage se retenir de la serrer dans ses bras. Calmée, elle joua avec ses cheveux sur ses genoux un moment. Il la regardait faire, admirant son visage, comme s'il le découvrait encore et encore, et se perdit dans ses pensées.
Prédisant son avenir, sans pareil. Il posa doucement deux doigts sur son front pour analyser son flux de chakra, s’assurant qu’il n’était plus perturbé après sa crise, mais elle le repoussa pour lui faire promettre de ne plus jamais mentir, ce à quoi il répondit alors que le chemin serait semé d’emb?ches et douloureux avant de parvenir à ses objectifs, avant de devenir plus forte.
Inquiète, elle cacha ses tourments derrière ses longs cheveux noirs, pour y faire plein de petites tresses. Nukade l’appela pour d?ner, et elle s’extirpa de sa cachette pour la rejoindre en courant. Jinmuya se releva doucement, en s'amusant des petites tresses, puis ses yeux se perdirent sur un de ses dessins accroché au mur.
Tsukinoko avait peint son père lui tenant la main, dans le jardin. Il soupira longuement en contemplant le dessin, puis se murmura à lui-même avec ses yeux rougeoyants, comme une promesse solennelle.
- Je ferai la guerre au monde entier pour que tu y sois en sécurité, pour que tu aies enfin le monde que tu mérites, quel qu’en soit le prix.
Jinmuya se montrait dur et autoritaire, mais le temps passé ensemble les rapprochait davantage. Tsukinoko ne restait jamais sans surveillance, et ne quitta plus sa maison. Malgré ses entra?nements, la solitude et l’ennui rongèrent son esprit, sa frustration se transforma en tristesse et dépit.
Ses jouets furent délaissés les uns après les autres, ses dessins de moins en moins colorés et élaborés. Nukade assistait au déclin de la joie de vivre de sa fille, impuissante. Ni ses récits sur les merveilles du monde avant de dormir, ni les encouragements de Jinmuya ne suffirent.
Nukade la consolait tant bien que mal, maudissant du regard Jinmuya et ses enseignements abruptes censés forger l’esprit encore vierge de malsanité de leur enfant.
Pourtant, ses craintes étaient fondées, sachant qu’ils ne seraient jamais les bienvenus à Hanamaru après avoir fuis, que sa notoriété serait la perte de sa fille.
Que sa haine grandissait de jour en jour, brisant son c?ur et celui des innocentes partageant son toit.
Jinmuya était descendu un jour dans ses appartements, et n’était plus remonté depuis. Tsukinoko avait délaissé ses entra?nements et exercices, préférant dessiner ou jouer seule. Les hautes montagnes avaient revêtu un manteau blanc alors que l'hiver approchait.
Un soir après le d?ner, Nukade lui tendit un plateau repas d'un air excédé. Jinmuya manquait à ses devoirs. Sa conjointe lui envoya alors des restes pour d?ner et sa fille, en dernier espoir de le faire sortir de son terrier pour réapprovisionner leurs stocks et tenir tout l’hiver.
Sans broncher, Tsukinoko descendit le long escalier en colima?on. Arrivée en bas, la porte s’ouvra d’elle-même et elle entra timidement.
Jinmuya était concentré, éclairé par de nombreuses bougies. Tsukinoko slaloma entre les documents étalés par terre jusqu’à lui. Il avait attaché ses longs cheveux en queue de cheval et portait une tunique noire, recroquevillé devant un bureau plus en désordre que jamais.
Son d?ner froid déposé sur la table voisine, les secondes s'écoulèrent mais il ne bougea pas. La petite voix de Tsukinoko le fit sursauter, et elle fit un pas en arrière, surprise de son geste brusque.
Son visage était terni par la fatigue. Tsukinoko grimpa sur ses genoux pour lui tripoter les joues.
- T’es fatigué... s’inquiéta-t-elle. Maman elle a dit tu dois remplir le cellier, elle a dit elle en a marre de le répéter.
- Certes, soupira-t-il. J'irais avant que l'hiver n'arrive.
- La neige elle est déjà dans la montagne, Papa. Maman elle a d? couper le bois pour le feu la semaine dernière, elle disait des gros mots sur toi avec la hache, grima?a-t-elle.
Le visage de Jinmuya imita sa grimace, dont elle avait hérité. Il se tourna pour vérifier la date sur le calendrier derrière lui, mais Tsukinoko alla effeuiller les pages les unes après les autres pour le mettre à jour.
Deux mois s’étaient écoulés. Elle retourna s'asseoir sur ses genoux et se pencha sur son bureau pour déchiffrer le vieux papier froissé qu'il lisait. Aidée de son doigt, elle suivit les lignes, marmonnant lentement en écorchant les syllabes les unes après les autres, malgré son aide.
- Relis la phrase.
- Il divisa une très' forte quantité d'énergie afin de réveiller tous' les Gardiens.
Elle se tourna vers lui pour obtenir des explications mais il avait les bras croisés, la regardant les sourcils froncés.
- Tu n'as pas fait tes exercices de lecture, se désappointa-t-il. Ne sois pas une incapable, tache de faire de ton mieux.
- Pff... bouda-t-elle en s'adossant sur lui. Mais j'arrive pas.
- Demande de l'aide à ta mère. Et le reste ? La calligraphie, et-
- Nul, nul, et re-nul... C'est quoi un Gardien ? demanda-t-elle en regardant les illustrations des livres.
- Tu dois travailler Hōseki, et continuer à t'entra?ner. La bonté n’épargne personne, cette faiblesse sera ta perte.
- Bla bla bla, soupira-t-elle en tournant curieusement les pages.
Il grima?a mais n’insista pas, comprenant qu'elle était toujours déprimée. L'odeur du d?ner avait envahi la cave, lui rappelant ses devoirs. Sans oublier de maugréer, il posa Tsukinoko à terre puis alla dans son armurerie, ignorant son d?ner peu appétissant. Il l?t dans ses yeux, puis pointa du doigt un arc en bois d'orme avec son set de flèches, avant de l’informer qu’elle viendrait avec lui, dans le cadre de son entra?nement qu’il avait délaissé. Le sourire béat de sa fille le rassura, après avoir disparu depuis des mois.
Le lendemain matin, ils furent fins prêts et habillés de chaudes fourrures. Jinmuya avec son arbalète géante, Tsukinoko avec son arc accroché dans le dos.
Elle hésita à laisser sa mère seule, triste de se séparer d'elle, et lui donna alors sa peluche préférée pour qu'elle veille sur elle en son absence. Une peluche en forme de maki, renommée Sushi.
Le soir même, ils traversèrent tous les deux la vallée pour descendre vers la forêt, déjà bien enneigée. En chemin, Jinmuya lui expliqua les principes de la chasse, comment chasser en respectant l’essence de la nature, comment utiliser l'arc, et reprit en main son éducation en la faisant s'exercer chaque soir. Ils s'arrêtèrent au milieu de la forêt à la nuit tombée pour camper.
Assis en tailleur contre un arbre après le d?ner, il ouvra sa lourde cape pour que Tsukinoko vienne s’y blottir. Au bout de deux minutes, elle ressortit la tête des tissus en reprenant son souffle, étouffée par la chaleur. La tête posée contre son père, elle observait les b?ches du feu crépiter. Les histoires de guerre, de conflits, de haine vinrent envahir son esprit, et malgré qu’elle soit sortie de chez elle, elle ne sentait pas la liberté.
- ?a finit quand la guerre ? demanda-t-elle tout à coup.
Jinmuya soupira doucement avant de baisser la tête vers elle et répondit d'une voix calme et sage.
- Jamais, Hōseki. Dans ce monde, partout où il y a la lumière, il y a aussi des ombres. Tant que le concept de gagnants existe, il doit aussi y avoir des perdants. Et les perdants sont rongés par la haine, la vengeance, tandis que même si les gagnants se considèrent en paix, ils ne dorment que d'un ?il. Sachant qu'à tout moment, la vengeance pourra éclater et mener à une nouvelle guerre. à un moment, la trêve sera inévitablement rompue, que ce soit par les vaincus ou les vainqueurs.
- Hein... s'affligea-t-elle. Mais d'où ?a vient la guerre ?
- Le désir égo?ste de vouloir maintenir la paix provoque les guerres, et la haine est née pour protéger l’amour. Les hommes ne sont animés que par une chose, la haine provoquée par l’amour. Elle attise toute volonté, et nous particulièrement sommes nés avec cette malédiction.
- Mais ! s'attrista-t-elle.
- Pour protéger quelque chose... Une autre doit être sacrifié.
- Je veux plus qu'il y ait la guerre Papa... se désola-t-elle. Comment Papa il ferait ?
- Je ne sais pas encore. Un jour... soupira-t-il.
- Si tu sais tu me dis, hein ? Je veux plus la guerre ! J'aime pas ?a ! Promis ? demanda-t-elle avec de grands yeux.
- Promis. Papa fera tout pour qu'il y ait la paix, pour toi, affirma-t-il en la regardant dans les yeux.
Il leva la tête pour observer la pleine lune, et ses longs cheveux recouvrirent Tsukinoko. Elle gloussa et joua avec, avant de s’endormir au chaud dans ses bras.
Nukade l'accueilli à leur retour mais le calme de sa fille dans ses bras la laissa perplexe, et avant qu'elle ne puisse la récupérer il lui expliqua le facheux accident. Avouant à moitié qu’il avait fini par la laisser se défendre seule face à des brigands de passage, pour mieux l’endurcir. Horrifiée, Nukade se précipita pour reprendre Tsukinoko de ses bras, de gré ou de force.
- Tu es inconscient ! hurla-t-elle les larmes aux yeux. Arrête de te servir d'elle, c'est notre fille bon sang !
- Ma fille, répliqua-t-il sèchement. Tu n'as aucun droit sur elle. Je tolère seulement ta présence pour que tu t'occupes d'elle.
Nukade resta pantoise mais garda la tête haute face à celui qu’elle ne reconnaissait plus depuis longtemps.
- Assez, je retourne avec elle à Hanamaru, que tu le veuilles ou-
Elle se t?t immédiatement alors que les Negin de Jinmuya la mena?aient, mais ne baissa pas les yeux et lui tint tête, furieuse en protégeant Tsukinoko dans ses bras.
- Si tu fais un pas en dehors de cette maison avec elle, Tsukinoko verra sa mère mourir sous ses yeux, et cela sera entièrement ta faute, dit-il durement. Si tu tentes d'entrer en contact avec tes cousins, ou avec n'importe qui, j'aurais disparu avec elle avant que le message ne leur parvienne. A jamais.
Nukade enragea devant ses menaces, ? combien sérieuses et dangereuses. Malheureusement, elle n’avait d’autre choix que de rester ici pour prendre soin de sa fille, du mieux qu'elle pouvait, priant pour que leur calvaire cesse un jour.
?