Les nuages s’écartèrent pour révéler le clair de lune au pied du camphrier. Tsukinoko se mordit le pouce jusqu’au sang et étale la goutte rouge sur son tatouage scellé sur le poignet. Trois nuages de fumée explosent à la suite, d’où s’échappent de puissants rugissements qui la firent tomber à la renverse.
Trois panthères se tenaient devant elle, aussi hautes qu'un homme adulte. Hyō, une panthère noire aux yeux jaunes per?ants. La deuxième, Yukihyō, une panthère des neiges aux yeux gris et au pelage épais, et le plus petit de tous, Pansā, un léopard svelte aux yeux verts, muet contrairement à ses confrères. Tsukinoko ouvrit grand les yeux, craignant ne plus jamais revoir ses seuls amis.
- Tsukinoko... ? hésitait doucement Hyō. C’est vraiment toi ?!
- Vous êtes si grands ! s'exclame-t-elle en tripotant le nez d'Hyō.
- Et toi... normale, murmure Yukihyō étonné.
- C'est vrai qu'on est dans le futur ? Enfin le présent... enfin je sais plus, hésite-t-elle en baissant la tête.
- Nous sommes bien dans le présent, et cela fait au moins cinq ans que nous ne t’avions pas vu, lui répond Hyō d’un air soucieux.
Il était maintenant clair qu’elle avait voyagé dans le temps. Yukihyō s'approche en la reniflant de partout et elle glousse alors que ses moustaches la chatouillaient.
- Mais qu'est-ce qu'il se passe ? demande Hyō. Tsuki ne devrait pas avoir des rides ? Ou les humains n’ont-ils pas les cheveux blancs en vieillissant ?
Les panthères la dévisageaient étrangement et Tsukinoko leur explique alors la situation, les larmes aux yeux en serrant Yukihyō contre elle. Un an dans ce monde équivalait à quatre ans pour les félins.
- Nous sommes si heureux de te retrouver, nous nous étions inquiétés quand cela faisait un moment que tu ne nous avais plus appelées. Et finalement après quelques années... soupire Hyō sans finir sa phrase. Nous nous étions fait une raison, après avoir trouvé ta maison dans cet état.
- Si seulement j’étais revenu avec toi cette nuit-là, grogne Yukihyō de colère.
- Tu n’aurais rien pu contre lui, le reprend Hyō.
Les panthères mettent à leur tour Tsukinoko à jour des nouvelles de leur royaume. Hy? avait hérité du tr?ne de sono père à sa mort, il y a deux ans. Son cousin Yukihy? et Pansa étaient ses proches conseillers.
Tsukinoko se réjouissait que tout aille bien pour eux, puis se relève brusquement car elle avait besoin de leur aide pour retourner chez elle.
- Tsuki, on est passés pour voir si tu étais là et-
Pansā rugit violemment et Hyō reprend son cousin.
- Il faut qu'elle le voie d'elle-même, dit-elle doucement. Allons-y.
- Il faut que je sois revenue avant demain après-midi ! crie la petite en grimpant sur son meilleur ami.
- On sera de retour dans la nuit, ne t'inquiètes pas, lui répond Yukihy? en la caressant de la tête.
Au galop en direction du nord, Tsukinoko scrutait le paysage sur le dos de Yukihyō. Un canyon au fond de la vallée, gardé de deux statues gigantesques était apparu, l’une de Karumin Jinmuya, l’autre de Anba Hashirama, se faisant face, prêtes à attaquer.
Le Canyon maudit existait bel et bien et avait englouti la maison où elle avait grandi. En observant les statues, Tsukinoko resta figée, dans l'incompréhension. Les panthères descendent la falaise puis continuent de l’autre c?té de la crevasse.
- Vous êtes s?rs que c'est là ? grimace Tsukinoko.
- Oui, regarde bien, lui répond Hyō.
Des ruines au milieu des rocs s’éparpillaient devant elles. Des plantes avaient poussé entre les planches de bois brisées et les briques explosées, le bois rongé par les mites et le temps, les tuiles du toit avaient dégringolé jusqu’à l’obscurité du fond du Canyon.
Avan?ant dans les décombres, les larmes inondaient les yeux de Tsukinoko, et elle se jette presque dans le vide. A pleine mains, elle fouillait, encore et encore, écartant les bouts de plinthes et les pans de murs qui tombaient dans le vide.
De longues minutes plus tard, après avoir dépiauter l’ancien salon et son ancienne chambre, la porte de la cave de son père était là, coincée contre la paroi. Ni escalier, ni trou, aucune entrée, comme si la cave avait été ensevelie, avalée par la couche de terre. Tsukinoko sèche ses larmes et rejoint les félins.
- C'est pas ici, dit-elle sèchement. C’est pas ma maison.
- Chaton... soupire tristement Yukihyō.
- Vous vous êtes trompés ! Où sont nos affaires alors ?
- Ce trou n’a pas de fond. Tout a été emporté depuis le temps, hausse-t-il les épaules. Tes parents ne sont plus là.
- Et ils sont où alors ! Hein ?! Pourquoi ils seraient partis et ils m'auraient abandonnée ?! Votre flair de merde, c’est pas chez moi ici ! cria-t-elle.
Yukihyō allait répliquer mais Hyō le retint, et il laissa échapper un feulement mêlé de peine et de frustration. Tsukinoko reprit ses recherches parmi les décombres, dégageant les vestiges du mobilier.
Cachée au milieu des herbes, une petite broderie déchirée attire son attention. Elle retire délicatement la terre accrochée dessus. Une broderies de sa mère, elle la reconnaissait très bien, c'était celle qu'elle était en train de finir la veille du tragique accident. La broderie se froisse dans ses mains alors qu’elle éclate en sanglots, tentant d’appeler sa mère mais son chagrin étouffe sa voix.
Ce tas de ruines était bien sa maison. Hyō donne un coup de tête à Yukihyō qui hésite, mais va finalement un peu plus loin creuser le sol devant une grosse pierre polie, arrachant les racines séchées. Un linceul noué contenait une mallette de peinture, quelques dessins rongés par les mites, deux sabres intacts et un peigne cassé.
Les sabres avaient une poignée en cuir noir tressé recouvrant une lanière en soie violette. L'extrémité de la poignée et la garde avaient été sculptées dans de la tourmaline noire, abondante dans la montagne. Des petits ? T ? blancs étaient gravés de chaque c?té des gardes et les lames, plut?t courtes, étaient rangés dans des fourreaux en cuir noir gravé de fleurs sur tout le long. Tsukinoko serre fort ses affaires contre elle, incrédule et dépeuplée.
- Mais... murmure-t-elle en essuyant ses larmes. Pourquoi mes affaires sont enterrées ici ?
- Nous ne savons pas qui a fait ?a chaton, dit Hyō. C'est s?rement avec le temps, ils-
- Pourquoi dans le drap ?! crie-t-elle à nouveau. Et pourquoi mes autres affaires ont disparues ?!
Hyō la caresse de la tête en tentant de la calmer.
- Il n'y a plus rien ici. Retournons à Hanamaru.
En partant, elle remarque un vieux kimono troué encore plié sous les décombres. De couleur indigo, il arborait des motifs de plumes de paon sur les pans. Propre mais poussiéreux.
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Tsukinoko revoit son père au petit-déjeuner, buvant son thé sur le porche de la maison, avec les premiers rayons du soleil faisant briller les fils argentés du kimono. A peine éveillée, elle se servait une tasse du thé br?lant et venait s’allonger auprès de lui, la tête sur sa cuisse, pour admirer le fond de la vallée prendre vie au fur et à mesure que le soleil montait dans le ciel.
Comme autrefois, Tsukinoko et les panthères s’installèrent sur les branches du camphrier. Les félins avaient tout autant qu’elle senti qu’ils étaient suivis depuis leur départ mais aucun ne le fit savoir. Tsukinoko avait caché les affaires dans le tronc et s'installa sur le dos de Yukihyō pour lui gratouiller les oreilles. La panthère se mit à ronronner doucement alors que Pansā descend de l'arbre, avant de le suivre pour aller se mettre quelque chose sous la dent après leur escapade.
La panthère noire lui conta ce qu'elle et ses semblables avaient vécu depuis toutes ses années. Bercée par son ronronnement, Tsukinoko somnolait dans sa fourrure. Acceptant son triste sort, elle s'endormit en laissant couler quelques larmes, les yeux br?lants d’irritation à cause du Negin qui s’agitait.
L’aube se lève et avant de partir, Tsukinoko regarda une dernière fois la broderie, embrassa son déni, puis la glissa dans l’?il de l’arbre avec des morceaux d’un Daruma cassé qu'elle avait trouvé la veille, pour que son souhait se réalise.
Elle repassa rapidement chez elle pour manger quelques fruits et aiguiser ses sabres, du mieux qu’elle pouvait. Plusieurs entailles sur les doigts plus tard, elle enroula le dernier blessé dans un bandage.
Dix-sept heures sonnaient dans le village alors qu’elle arrive en furie dans le bureau du Chef, croyant être en retard, et le surprend en pleine discussion avec un soldat.
- C’est exact, toutes les bêtes ont été attaquées, continue celui-ci. Mais il n'y a pas de loups ou autre prédateur aussi près du village, donc nous ne savons pas vraiment ce que c'est. Nous continuons à mener l'enquête.
L’homme se retourne en voyant que Le Chef regardait vers la porte.
- Entre Tsukinoko, ordonne-t-il. Dis-nous, tu vivais avec des fermiers, n’est-ce pas ? Un fermier a retrouvé tous ses veaux morts ce matin. Ils ont s?rement été attaqués par des animaux sauvages, explique le Chef.
Tsukinoko hausse les sourcils, elle craignant de conna?tre l'origine de ce massacre et de devoir en répondre.
- Explique-nous.
- Hier soir j'ai appelé mes amis, et euh... C'est des panthères. Et elles sont allées manger. Enfin chasser, grimace-t-elle.
- Ce sont tes invocations ? dit-il en pointant son poignet. C'est avec eux que tu es sortie du village ? demande-t-il en fron?ant les sourcils.
- Hein ? Comment tu sais ? C’est toi qui nous as suivis ?!
- Tu n'es pas encore un soldat Tsukinoko, tu ne peux pas quitter Hanamaru sans surveillance. Où êtes-vous allés ?
- Chez moi... dit-elle timidement. Je voulais voir si mes parents étaient là. Et du coup j'ai récupéré des affaires, comme ?a ! sourit-elle. C'est mes sabres regarde !
Elle écarquille tout à coup les yeux en même temps qu’eux alors que son doigt dégoulinait de sang par-dessus le bandage imbibé.
Le Chef lance un regard au soldat qui s'accroupit devant elle pour ausculter son doigt. Tsukinoko ne bronche pas en voyant son doigt presque coupé en deux. L’homme sort une lame et pique le bout mais son manque de réaction le crispe.
- Je crois qu'elle s'est sectionné les nerfs, averti-t-il au Chef. Il lui faudra également des points pour cicatriser la plaie.
Le Chef acquiesce avec agacement alors que Tsukinoko essayait de faire bouger son majeur qui peinait à suivre ses demandes.
Pendant que Tsukinoko était soignée, le Chef regardait curieusement ses sabres, en expliquant au soldat qu’il dédommagera les paysans en tant que responsable légal de Tsukinoko, et donc désormais de ses invocations.
De retour dans le bureau, Tsukinoko allait demander des informations sur son entra?nement, motivée, mais le Chef fron?ait les sourcils.
- Si tu as des animaux et que tu les utilises en combat, avec ou sans invocation, tu dois les déclarer. Et ils doivent comprendre qu’il y a des règles ici. Bon, demande-leur de venir qu'elles s'enregistrent.
- Maintenant ?! crie-t-elle brusquement.
Il lève un sourcil devant sa panique soudaine.
- Enfin... Dehors c'est mieux, se défend-t-elle. Ils ont un peu grossi.
- Bien. C'est l'heure de ta première session d'entra?nement quoi qu’il en soit, peut-être qu’ils pourraient se joindre à nous, dit-il en se relevant avec son dossier sous le bras.
Dans la cour de la Résidence, Tsukinoko demande au Chef de tenir ses sabres un instant puis invoque ses trois amis sans attendre. Les soldats qui passaient-là ont le sang glacé par les rugissements sourds et tous les employés accourent aux fenêtres en panique.
Le Chef admirait les panthères, sa pipe pendue aux lèvres. Leurs têtes arrivaient au-dessus de la sienne, et l’on osait imaginer leur taille lorsqu’elles s’élan?aient, leurs griffes épaisses comme un doigt, au bout de pattes aussi imposantes que majestueuses.
- Dehors, c'est mieux, en effet, pensa-t-il sans bouger d’un cil.
- Alors elle c'est Hyō, lui c'est Pansā et lui c'est Yukihyō, cria Tsukinoko en les pointant tour à tour du doigt.
Autour d’eux, la foule grandissante ne rassurait pas les panthères qui se mettaient à grogner méchamment dès que quelqu'un approchait. Soudain, les conseillers surgissent parmi le vacarme.
- Que se passe-t-il, Haruo ? ordonne Harue Kato.
- J'enregistre les compagnons de Tsukinoko, dit-il calmement.
- ?a ? C'est à elle ?
Shoji Fujita s'avan?a pour voir de plus près mais Hyō lui rugit à la figure, horripilée d'avoir été traitée comme un objet. Tsukinoko s'interpose et tous les soldats autour s'étaient mis en garde.
- C'est les conseillers du Chef. T'énerves pas, tu vas m'attirer des ennuis avec ces fossiles, chuchote Tsukinoko en grima?ant.
Le Chef laisse échapper un sourire en coin en l'entendant alors que Yukihyō grognait entre ses dents.
- Et d'où elle les sort, ces panthères ? s'énervait Harue.
Le Chef se tourne vers Tsukinoko en attendant une réponse aussi.
- Beh euh... En fait c'est arrivé comme l'accident avec les veaux, hausse-t-elle les épaules. Et donc je sais que c'était elles parce que quand j'étais petite les animaux des fermiers se faisaient toujours dévorer, raconte-t-elle. Dans la vallée les animaux sauvages arrivaient à s'introduire par la montagne ! Avec les enfants on devait s'occuper du troupeau la journée pour surveiller les vaches et on les rentrait pour la nuit. Et dans le troupeau y avait un petit veau tout mignon je l'aimais beaucoup. Donc un jour je rentre le troupeau sauf que le petit veau s'échappe et-
- Abrège, lance sèchement Harue.
Un soldat fait même la moue alors qu'il commen?ait à apprécier son récit enjoué, et Tsukinoko reprend en roulant des yeux et parlant à toute vitesse.
- Et le veau s'enfuit et Yukihyō le mange et veut me manger après mais il a pitié parce que je pleure et après parce qu’il me voit seule chez moi parce que je peux plus sortir à cause du danger des bêtes sauvages, à cause de lui quoi, et on signe le pacte pour jouer ensemble, on savait pas ce que c'était vraiment, hausse-t-elle les épaules. Et avec le temps j'ai fait connaissance avec ses cousins, dit-elle en les regardant.
Le Chef se tourne vers les conseillers et attend leur réponse.
- Décidément, elle est pleine de surprises cette orpheline, Haruo, lache Shoji. Qui nous dit qu'elle ne ment pas ? Elle sort de-... nulle part et possède de telles techniques.
Tsukinoko ne savait quoi répondre, encore mal à l'aise d'attirer l'attention. Elle avait les mains moites de trouille et Yukihyō sent l'humidité sur sa fourrure.
- Nous sommes ici pour être déclarés comme nous le demande votre Chef, dit-il d'une voix grave. Vous n'avez pris la peine de vous présenter. Je vous informe que vous avez devant vous la reine Hyō, souveraine de Janguru, accompagnée de son fidèle conseiller Pansā-sama, Prince de Janguru, et moi-même Yukihyō, Commandant et Conseiller suprême du Royaume. Depuis la nuit des temps, le Royaume des félins sauvages a ?uvré aux c?tés des soldats, par alliance conventionnelle. Aujourd’hui, nous nous tenons devant vous par suite du souhait de cette enfant qui a eu le courage de nous approcher, nous acceptons de fouler vos terres malgré les malheurs qu’elles sèment. Je vous demande donc de respecter ses Majestés qui ont accepté de faire le déplacement, chose qui n’avait pas eu lieu depuis plus d’un siècle. Pour commencer, rugit-il.
- Janguru ? bégaya Shoji blême. Nous pensions que votre peuple était une légende. Jamais aucun soldat depuis la fondation de Hanamaru n’avait vu l’un des v?tres...
Les animaux étaient très respectés au sein des soldats. Certains étaient même idolés, et les conseillers se sentaient penauds face à ces souverains. Les Panthères de Janguru étaient citées dans les récits de guerre, mais leur retrait soudain et sans explication avait fait passer pour des imposteurs au fil du temps les soldats qui prétendaient les conna?tre et combattre avec elles.
- Nous ne serions assez pour exprimer notre reconnaissance envers votre aide durant les guerres qui ont opposées nos fondateurs aux pays voisins. Veuillez nous pardonner cette maladresse. Haruo, tu as tout ce dont tu avais besoin ? tente Harue.
Il acquiesce. Les félins disparaissent sans se faire prier. Tsukinoko regardait les conseillers en croisant les bras d'un air contrarié mais ils font mine de l'ignorer et dispersent les soldats, avant qu’elle ne se rende au terrain d’entra?nement pour y attendre son ma?tre.
- Haruo, quel est l’expert adjudant responsable d'elle ? demande Shoji. Ou a-t-elle été inscrite conformément à l’Académie ?
- Rien de tout cela, je vais superviser moi-même Tsukinoko. Elle est ma disciple désormais.
- Haruo, es-tu s?r d'avoir le temps pour ?a ?
- Je vous rappelle que j'ai formé le trio Légendaire f?t un temps, tout en remplissant mes fonctions.
- Soit, soupire-t-elle. J'imagine que tu as pris les précautions nécessaires.
A peine l'entra?nement commencé dans un terrain de la forêt, que le ventre de Tsukinoko ne cessait de gargouiller. Sa bêtise br?lante avouée pour justifier sa faim malgré son portemonnaie garni, elle tripotait d’appréhension ses doigts entaillés. Sans oublier la sortie du village sans autorisation, les veaux dévorés et l’insolence. Les sourcils froncés du Chef tremblaient d’agacement alors qu’il tire sur sa pipe, essayant de ne pas perdre patience devant cet aimant à problèmes, aussi adorable était-il.
- Pardon Jījī, murmure-t-elle honteusement.